lundi 12 février 2018

Avant de se lancer dans un gros travail, il vaut mieux une stratégie !

Aujourd'hui, je réponds à des élèves qui m'écrivent :

Bonjour Monsieur THIS,
Je suis élève en 1 ère S, et cette année, avec deux de mes camarades, nous traitons le sujet des TPE. Notre sujet comporte trois grandes parties dont la transformation des molécules au sein de la viande lors de sa cuisson. Notre but est de montrer que le gout est perçu grâce aux molécules, et que donc après cuisson, les molécules ont changé et donc le goût ne sera plus le même. Nous avons étudié la réaction de Maillard, je voulais donc vous demander s'il vous serait possible de nous transmettre les équations chimiques qui s'y passent ainsi que dans la dénaturation des protéines si cela affecte le goût. Puis pour finir est ce que l'oxydation des lipides joue un rôle dans le bon goût de la viande car j'ai seulement vu que cette oxydation était dangereuse et apportait une odeur désagréable.

On le voit, le message est confiant, et je m'en veux de lire les mots précis, et de commenter. Pardon à mes jeunes amis si c'est parfois rude, mais ils n'oublieront pas que j'ai une mission d'instruction, et que les observations que je fais visent surtout à les aider pour l'avenir (moi, je ne donne pas de bons ou de mauvais points ; j'observe seulement).

Ainsi l'accroche : c'est amusant, mais il y a seulement dix ans, elle aurait été de la dernière vulgarité, en France. On devait dire "Monsieur", et jamais "Monsieur This". Mais les temps changent.

Puis on n'aurait jamais commencé une lettre par "Je". Là, ça reste vrai, et nos jeunes amis sont en quelque sorte catalogués dès les premiers mots.

Un détail de ponctuation : il ne fallait pas de virgule après "1ere S", mais il en fallait entre "et " et "cette année". Bon, un détail... mais tout ce qui mérite d'être fait mérite d'être bien fait, non ?

Arrive le "nous traitons le sujet des TPE" : amusante formulation pour dire que nos amis ont un "travail personnel encadré à faire". Le sujet des TPE, c'est quoi ? C'est ce que chaque groupe décide, mais qu'a décidé ce groupe ? On ne le sait pas : on découvre seulement qu'il y a trois parties. 

Ah, nos amis veulent montrer que le goût est perçu grâce aux molécules. Bon, pourquoi pas... car effectivement, dans la vision, ce sont des photons, et pas des molécules, qui sont à l'origine de la sensation... mais, au fait, la perception visuelle n'est-elle pas une modalité du goût ? Le goût est la sensation synthétique que nous avons, et il inclut la saveur. D'où un premier doute : et si nos jeunes avaient en réalité la saveur, comme sujet ? Là, ils auraient tort de penser qu'elle est due aux molécules, car les ions sont des ions, parfois réduits à un atome électriquement chargé.
Je leur donne donc, en lien téléchargeable, mon texte sur les mots du goût :
https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/applications/des-applications-de-deux-types/applications-pedagogiques-educatives-intellectuelles/pour-les-collegiens-et-les-lyceens

Après une cuisson, il peut y avoir des modifications moléculaires... ou pas. Car tout dépend de la cuisson ! Et puis, il y a des modifications moléculaires induites par les cuissons qui s'accompagnent de changements de saveur, et d'autres qui ne s'accompagnent pas de telles modifications. Considérons, par exemple, le chauffage d'amidon dans de l'eau : les grains d'amidon s'empèsent... mais les espèces chimiques sont les mêmes, avant et après la "cuisson".
Certes, parfois, il y a effectivement des réactions, comme dans les oxydations, les déshydratations de hexoses, les hydrolyses, les dégradations de Strecker, les réactions de Fischer, les réactions de Maillard... mais pas toujours. Et puis, il y a aussi des différences de "biodisponibilité" qui changent la saveur : imaginons des ions sodium ou chlorure (du sel de table) libres, ou bien pris dans un gel ; nous ne les percevrons pas de la même façon, et la saveur (ainsi que le goût, donc), aura changée. De même, l'amylose peut se mettre en hélice autour de composés odorants, ce qui change la composante olfactive du goût.

Nos amis me disent qu'ils ont étudié la réaction de Maillard, mais j'espère qu'ils ont utilisé les bonnes sources ? A tout hasard, je leur donne mon article, où je relate le travail précis d'enquête historique qui permet d'éviter de dire n'importe quoi, à propos des réactions de Maillard : il est téléchargeable sur la même page https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/applications/des-applications-de-deux-types/applications-pedagogiques-educatives-intellectuelles/pour-les-collegiens-et-les-lyceens.

Mais je lis "je voulais donc vous demander s'il vous serait possible de nous transmettre les équations chimiques qui s'y passent" : quelles réactions ont-elles lieu lors des réactions de Maillard ? La question est bien trop générale, car il y a des traités entiers sur les réactions de Maillard, et je ne compte pas le nombre d'articles scientifiques que j'ai à ce sujet... alors que je n'ai même pas fait de recherche bibliographique spécifique.

Puis "ainsi que dans la dénaturation des protéines si cela affecte le goût"  : oui, comme dit précédemment, la coagulation (plutôt que la dénaturation) des protéines change le goût, puisqu'elle change la biodisponibilité des espèces molécules ou ioniques présentes ou formées lors des traitements thermiques. Encore un énorme chapitre ! Décidément, avant de se lancer dans tout cela, il vaut mieux focaliser l'étude... et c'est d'ailleurs bien ce qui est préconisé par le Journal Officiel, et que je rappelle dans mes conseils aux élèves faisant des TPE ou des TIPE (voir https://sites.google.com/site/travauxdehervethis/Home/applications/des-applications-de-deux-types/applications-pedagogiques-educatives-intellectuelles/pour-les-collegiens-et-les-lyceens).

Mais ce n'est pas tout, car nos amis écrivent encore "Puis pour finir est ce que l'oxydation des lipides joue un rôle dans le bon goût de la viande car j'ai seulement vu que cette oxydation était dangereuse et apportait une odeur désagréable". Là, il y a des traités entiers, à nouveau ! Et puis, l'oxydation des lipides, c'est bien trop vaste, puisque l'on nomme lipide tout composé des aliments qui n'est pas soluble dans l'eau : c'est une catégorie où l'on trouve tout aussi bien les cires, le cholestérol, les triglycérides, les phospholipides... Alors, l'oxydation : laquelle ? Oui, le "rancissement", que l'on devrait nommer "autoxydation" peut créer des espèces variées, parfois néfastes, mais la question de la santé est une autre question. Quant à l'odeur, c'est effectivement une composante du goût, quand elle est rétronasale... mais "désagréable" est un adjectif qui relate une appréciation personnelle, donc qui n'a rien à voir dans un tel travail : le mauvais des uns est le bon des autres.

Bref, tout ce questionnement me laisse un peu perplexe... et je crois nos amis mal partis, parce qu'ils n'ont pas fait ce que le Journal Officiel leur demandait : il faut qu'ils commencent par le lire... et, surtout, je vois bien l'intérêt de l'exercice, qui propose à la fois de la stratégie et du travail de détail.

Pardon, enfin, si j'ai offensé mes amis en leur "reprochant" de ne pas savoir : en réalité, ce reproche n'est pas la stigmatisation d'une faute, mais seulement le signalement d'erreurs qu'ils pourront apprendre à corriger. Après tout, quelqu'un qui sait, c'est quelqu'un qui a appris, n'est-ce pas ?

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