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vendredi 6 juillet 2018

Qu'est-ce qu'un journal de bord ?

Il y a de ces mots ou expressions que nos interlocuteurs comprennent sans comprendre, et je viens de m'assurer que mes jeunes amis ignorent ce qu'est un "journal de bord"... parce qu'ils n'ont jamais fait de bateau ! Ce n'est pas une critique que je fais... mais une obligation que je me donne de l'expliquer le plus clairement possible... parce que cela peut avoir des conséquences sur leur travail technologique ou scientifique, par exemple.

Commençons par nous remettre à  l'époque pas si lointaine où l'on n'avait pas de GPS, pas de Waze, pas de Google Map. Et, plus encore, entrons sur un bateau à  voiles.
Nous sommes à  Benodet, et nous voulons gagner  les îles Scilly (les "Sorlingues", si bien décrites par ce merveilleux livre qu'est Rôle de plaisance, de Perret). Il se peut que nous soyons dans la configuration suivante :


Pour un voillier, c'est bien ennuyeux, parce que si le vent pousse, il est donc bien impossible de "remonter au vent", sauf à "tirer des bords", c'est-à-dire faire des zigzags, comme cela :

 

Mais imaginons qu'il y ait des cailloux, sur le chemins : 


Là, une telle route est très risquée, car comment sait-on qu'on est cent mètres plus à droite ou à gauche ? Décidément, il vaut peut-être mieux faire une route différente :


Bon, nous sommes prêts, partons dans la direction que nous avons tracée sur la carte... mais il faut savoir quand virer de bord, pour ne pas tomber dans les cailloux. Ce que l'on fait, alors, c'est que, sur le "journal de bord", on consigne l'heure de départ, et l'on utilise un appareil nommé un "loch" pour mesurer la vitesse. Puis, en utilisant le fait que la distance est égale au  produit du temps par la vitesse, on calcule l'heure à  laquelle on doit changer de bord.
Mais, évidemment, imaginons que le vent faiblisse, à  un moment donné, il faudra absolument consider l'heure à  laquelle c'est arrivé, et la vitesse que l'on fait alors, afin de suivre le déplacement du bateau sur la carte.

C'est cela, un journal de bord : un document où sont consignées toutes les indications relatives à  la marche du bateau, afin d'arriver sain et sauf à  bon port.

Pourquoi dois-je discuter cela ? Parce que, en recherche scientifique, on a quasiment la même question, et que tout ce que nous faisons doit être consigné. Même nos erreurs, même nos hésitations !
Je ne crois pas inutile de renvoyer mes amis vers le Diary du physicochimiste Michael Faraday :


C'est son "cahier de laboratoire", et plus d'un d'entre nous devrait prendre exemple : on voit que c'est d'une remarquable clarté. Ce qui me fait penser au cahier de laboratoire de Pierre Gilles de Gennes, qui, de même, était quasiment calligraphié. La pensée n'est pas rapide, et la seule chose qui importe est le résultat final, qui doit être parfait.

Ici, j'ai parlé de science, mais, au fond, puisque je veux que la plupart de mes jeunes amis aillent dans l'industrie, afin de mettre leurs compétences présentes et futures au service d'une augmentation de la "richesse nationale", je veux conclure en disant que je ne vois pas de raison pour laquelle cette excellence que je discute ici ne soit pas également présente dans l'industrie.

dimanche 10 décembre 2017

Une leçon de science


Pierre Gilles de Gennes, Leçon inaugurale au Collège de France, 1971 (Collège de France, Paris).
« Un autre type d’erreurs est parfois induit par un désir systématique de simplicité. 
Certes, il est vrai que, dans la plupart des cas, les lois fondamentales de la nature s’expriment par un symbolisme remarquablement concis […] Mais il y a tout de même des situations où cet axiome tombe en défaut. Ainsi, toute une génération de physiciens a admis que notre monde ne distinguait pas la droite de la gauche sans chercher vraiment à vérifier cette proposition par des expériences soigneuses, mais simplement parce que c’était la plus simple. Il a fallu vingt ans, et l’analyse pénétrante de Yang et Lee, pour remettre cette attitude en cause. Finalement, par ses lois physiques, au niveau des interactions dites faibles, notre monde diffère de son image dans un miroir : il est moins symétrique de nous ne le pensions. Lui attribuer une symétrie plus élevée correspondait à une certaine forme de confort intellectuel. […] 
Il nous faut donc garder constamment à l’esprit le précepte de Galilée : « Ne pas souhaiter que la nature s’adapte à ce que nous estimons être le mieux ordonnée ». 
Pour nous théoriciens ces exemples sont particulièrement importants : ils montrent avec quelle prudence nous devons mener le dialogue avec nos collègues expérimentateurs. C’est notre devoir de suggérer des expériences, mais c’est aussi notre devoir de ne pas imposer nos modes de pensée. Pour ma part, j’y vois un des aspects les plus difficils de notre métier.
Il y a donc une esthétique de la simplicité qui nous guide et qui parfois nous égare ; mais il faut reconnaître que cet égarement même n’est pas totalement stérile ; même s’ils sont provisoirement inadaptés, les modèles qui en résultent méritent de survivre et peuvent trouver plus tard de nouveaux terrains d’application. En schématisant à peine, on pourrait dire que l’art du théoricien en physique est de savoir jusqu’où on peut aller trop loin en matière de simplification. »






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)

samedi 16 mars 2013

A propos des relations entre science et technologie

Je m'aperçois que tout le monde n'a pas (encore ? ;-) ) lu mon livre "Science, technologie, technique : quelles relations ?", de sorte que ma passion absolue pour une science qui ne se confondrait pas avec la technologie (ce qui exclut évidemment toute possibilité de cette chimère qui est nommée fautivement "technoscience") risque de faire penser que je suis pour une science inutile.

AU CONTRAIRE !

Il y a de nombreuses années, déjà, j'avais fait une conférence intitulée "Vive la technologie", à l'Ecole de chimie de Paris (Chimie Paristech)... parce que je crois vraiment que la technologie étant le travail de l'ingénieur, il est essentiel, socialement, que nous valorisions la technologie.

C'est d'ailleurs ce qu'avait fort bien fait le grand vulgarisateur Louis Figuier, qui évoquait les merveilles de l'industrie ! Et nous lui devons des générations d'ingénieurs. D'ailleurs, mon ami Pierre Gilles de Gennes était bien d'accord avec cette idée, lui qui visait la formation d'excellents ingénieurs de recherche.

A propos : "ingénieur de recherche" ? Ce n'est pas parce qu'il y a le mot "recherche" qu'il faut entendre "recherche scientifique" ! Au contraire : il est question de recherche technologique, et, pour la faire bien, il faut des gens de talent.

Bref, je crois (et je viens de le proposer au Centre de recherche Total du Qatar, devant le directeur de la Fondation science et technologie du Quatar) que l'on doit séparer la science, qui doit être à la charge de l'Etat, et la technologie, qui doit être à la charge de l'industrie.
Pour autant, les deux communautés doivent se parler, et je crois plus fécond d'organiser ce dialogue que de favoriser la recherche technologique par l'Etat ou la recherche scientifique par l'industrie.
Sans être nécessairement trop raide, bien sûr.

Passons sur la toute dernière phrase, qui n'est qu'une façon d'essayer d'être moins bête que je ne suis, et revenons à la question : comment valoriser les travaux des scientifiques de l'Etat, sachant que ceux-ci ne doivent pas a priori (sous peine de tordre le bras à un principe sain) se lancer dans la technologie ?
Dans le livre susnommé, je propose que les scientifiques se réunissent périodiquement avec les industriels pour discuter ensemble les possibles applications des travaux scientifiques effectués.
Chaque nouvelle connaissance peut, ainsi, faire l'objet d'une discussion, laquelle doit conduire à autant d'idées que possible, et c'est ensuite  à l'industrie qu'il revient de faire les tests de l'idée.
Il est encore plus efficace que les résultats des tests soient alors "partagés" : soit les tests ont été positifs, et il revient à l'industriel de décider ce qu'il fait de l'idée technologique testée ; soit les tests ont été négatifs, et cela peut indiquer que la théorie scientifique sous jacente est fautive (elle l'est certainement, car toute théorie scientifique est insuffisante, mais on veut dire ici que l'on a une indication -utile- de l'insuffisance !).

Et c'est ainsi, si les communautés se parlent, que l'argent du contribuable pourra être efficacement utilisée !

Qu'en pensez-vous ?