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mercredi 16 août 2023

Quelques expressions à corriger, en vue de mieux comprendre

 
 Pendant longtemps, j'ai propagé cette idée de Lavoisier : pour faire de la bonne science, il faut de bons mots, parce que, disait-il en suivant Condillac, nous avons les phénomènes par la pensée, et nous manions les pensées à l'aide des mots. 

La relecture de Poincaré et de quelques autres semble montrer que, au moins consciemment, certains ne pensent pas avec des mots. Poincaré, par exemple, disait que sa plus grande difficulté était de mettre des mots sur les idées qui naissaient en lui. Je suis donc troublé, hésitant... de ce point de vue. 

En revanche, du point de vue de la communication, j'ai moins d'hésitation. Par exemple, je maintiens, à la suite de Louis Pasteur, qu'il existe pas de sciences appliquées, si les sciences considérées sont des sciences de la nature. 

Evidemment, si l'on prend le mot "science" dans l'acception de "savoir", comme dans "la science du cordonnier", alors c'est bien une science appliquée. Mais pour les sciences de la nature, impossible : il y a les sciences de la nature, d'un côté, et leurs applications, de l'autre, d'où le terme de technologie, dont je me suis déjà largement expliqué. 

 

Ces temps-ci, je tombe sur d'autres expressions idiotes. 

 

Par exemple "dépassement d'honoraires" : impossible, puisque si un médecin fixe des honoraires, il ne peut pas les dépasser, du moment que ces honoraires sont fixés. Et s'il augmente ses honoraires, il ne dépasse rien, puisque les honoraires fixés sont les honoraires. Je pose donc la question : quand on entend "dépassement d'honoraires", de quoi s'agit-il ? 

"Aliment naturel" : encore une imbécilité, car la nature, bien que le terme ait évolué, reste ce qui n'a pas fait l'objet de transformations par l'être humain. Autrement dit, tous les aliments sont artificiels, ce qui est le produit de l'"art". J'en profite, d'ailleurs, pour répéter que la cuisine a trois composantes, que je redonne dans un ordre qui n'est pas le bon : technique (il faut que le soufflé gonfle), social (faire à manger, c'est dire "je t'aime")... et artistique, tant il est vrai que le  "bon", c'est le beau à manger. 

Et j'insiste : je ne parle pas des "arts de la table", du service, etc. mais seulement du contenu de l'assiette. 

Enfin, pour cette fois, il y a "conflit d'intérêt", qui m'insupporte, parce que seuls les humains ont des conflits. De quoi veut-on parler ? D'intérêts cachés. C'est cela, qui est malhonnête, pour un expert. Bref, très positivement, je propose : - de ne jamais accepter de prendre des experts qui n'ont pas d'intérêts (avoués, bien sûr) : ceux qui ne travaillent pas avec l'industrie ne connaissent pas le monde, et sont bien incapables d'en juger - de cesser d'utiliser cette expression idiote, et d'utiliser l'expression "intérêts cachés". Il est juste de demander aux experts de faire des déclaration d'intérêts (expression qui me semble également juste, dans sa littéralité)... et c'est ainsi que nous aurons une société plus éclairée. 

 

Bref, même si Lavoisier n'avait pas entièrement raison, pour ce qui est du processus de création scientifique, il n'avait pas tort du point de vue de la pensée : de la clarté dans le langage ne fait pas de mal !

samedi 19 décembre 2015

Intérêts cachés

On accuse moins de "conflit d'intérêt" les charlatans qui font leur beurre sur le buzz que les scientifiques.

Passons sur le fait que l'expression "conflit d'intérêt" soit idiote (les intérêts n'ont pas de conflit, et il faut parler plus justement d'intérêts cachés), et focalisons-nous sur le fond de la chose.
Par exemple, ne doit-on pas s'étonner qu'un individu puisse impunément faire un article "à scandale"... quand il est l'auteur d'un livre sur le sujet ? Le scandale fait vendre son livre ! Bien sûr, on peut toujours, charitablement, considérer que notre auteur est si ému par son sujet qu'il  multiplie les façons de promouvoir son point de vue... mais pourquoi, alors, ne donne-t-il pas ses droits d'auteur à une oeuvre ?
 Aujourd'hui, on me signale un homme qui "vend du bon naturel"... en mentionnant évidemment de se reporter au livre qu'il a écrit. Dans son article, on lit : 

La liste des additifs autorisés, nomenclaturés avec la lettre E suivis de quelques chiffres, vous pose problème, car vous ne les connaissez pas ? Aucun souci !
J’ai depuis bien longtemps banni de mon alimentation tout aliment contenant le moindre additif "E". Je veux consommer des ingrédients que je connais et réfléchir en toute connaissance de cause. Un artisan respectueux des matières premières utilisera des produits et un vocabulaire que vous comprenez tels que farine, sucre, beurre, légumes, sel… et non E 330, E 420 ou E 621.

Une telle déclaration est idiote, parce que les "artisans", comme il dit, utilisent les mêmes additifs que les industriels qu'il stigmatise, et auxquels s'applique une réglementation bien plus contraignante. La gélatine est un additif, tout comme le caramel, par exemple.
Et puis, un "artisan respectueux des matières premières" ? Je préfère un artisan respectueux des êtres humains  !
Ce n'est pas tout : le sel, d'où sort-il ? Le sucre ? Notre homme sait-il bien comment il est produit ? Et le beurre, et la farine...
Il propose de ne consommer que ce que nous "connaissons", mais de quoi s'agit-il ? Que sait-il des semences ? Des amendements ? Des traitements ? Si l'on refuse d'aller comprendre ce qu'est un additif, pourquoi faire l'effort de comprendre ce que sont les méthodes de cultures ?

Allons, je me suis fait  une règle de toujours être positif... et la bêtise et la malhonnêteté me conduisent hélas à les dénoncer, ce qui n'est pas une bonne façon d'avancer.
Je vais donc proposer, ici,  au contraire, de mieux connaître les additifs, les compositions et extraits odorants nommés arômes, les auxilliaires technologiques, au même titre que les fruits, les légumes, les viandes ou les poissons.

Connaître les viandes ? Puisqu'aucun de  nous (je fais l'hypothèse que nous sommes en ville)  ne prend sa viande à la ferme, nous ignorons le plus souvent les conditions exactes d'élevage (différentes de ferme à ferme), d'abattage, de transformation... Et nous voulons souvent l'ignorer, parce que nous sommes bien heureux  de ne pas avoir devant les yeux  l'animal que l'on abat. Manger de la viande, d'accord, mais à condition qu'elle nous arrive toute  prête à manger.

Les légumes ? Il suffit de voir les jardiniers du dimanche pour comprendre qu'ils ignorent que tout part de semences très encadrées par la loi... pour le bien des citoyens, et, notamment, des agriculteurs ou des maraîchers.
Ainsi le Centre technique de la production de semences (CTPS) oeuvre, pied à pied, pour que les semences soient de bonne qualité, car les biologistes  végétaux savent bien que les croisements qui favorisent certaines caractéristiques ne sont pas "stables", par exemple. Et le CTPS, également, se préoccupe de végétaux qui consomment moins d'intrants (eau, engrais, traitements). Puis, pour les méthodes de culture, l'INRA et quelques autres institutions oeuvrent  depuis longtemps pour  aider les agriculteurs à produire plus facilement des végétaux de meilleure qualité. De sorte que les critiques sont souvent idéologiques... mais pas toujours dites ainsi !  (Tiens, j'y pense : notre auteur a-t-il refusé d'utiliser un ordinateur pour faire son article et son livre ? A-t-il poussé l'obscurantisme jusqu'à écrire à la plume trempée dans l'encre ?).

Les additifs ? Ces produits ont toujours été utilisés, et le fait que nous les connaissions est une très bonne chose, parce que cela signifie que leur emploi est réglementé. Dans les années 1910, les cuisiniers et les particuliers utilisaient, par exemple, des mèches de soufre qu'ils brûlaient dans des bouteilles pour conserver les fruits : on n'ose imaginer la quantité de dioxyde de soufre qui était alors produite ! De sorte que c'est un vrai progrès que d'avoir rénové les pratiques anciennes (des artisans, ces fameux "artisans respectueux etc.) et de les avoir réglementées.
Ce qui reste à faire, c'est d'appliquer les lois imposées à l'industrie aux artisans !
Les arômes ? Même question : utilisés depuis toujours, mieux réglementés aujourd'hui, donc plus sûrs que  les pratiques artisanales.

Plus généralement, la question merveilleuse qui se pose aux instances de régulation (je pense notamment à cette merveilleuse DGCCRF du Ministère de l'agriculture) est de réguler, sans tomber dans l'hygiénisme. Pour y parvenir, il faut beaucoup de connaissances, et beaucoup de doigté, afin de protéger sans excès. Il faut aussi  beaucoup d'explications à ce public (dont je suis) que l'on ne doit pas priver d'informations justes, au contraire ! Au lieu de ne pas utiliser d'additifs (ce qui n'est pas possible : souvenons-nous du caramel), il vaut mieux apprendre à les utiliser !