Affichage des articles dont le libellé est pâte. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est pâte. Afficher tous les articles

jeudi 28 septembre 2023

La quiche

Par une sorte de réflexe idiot, j'ai failli écrire « la quiche lorraine », mais je serais tombé dans la périssologie, une faute, donc, car la quiche est lorraine ! 

Dans ce billet, je propose d'examiner la raison pour laquelle il est bien peu utile d'avoir des recettes pour cuisinier, quand on a ce qu'il faut entre les deux oreilles. 

Analysons : une quiche, c'est de la pâte qui enferme une « migaine » coagulée. A ce stade, je ne peux m'empêcher de sourire, car, alors que je veux simplifier pour mes amis, j'utilise des mots comme « migaine », qui sont du patois lorrain. Rassurons-nous, il s'agit seulement d'un mélange d'oeufs, de crème, de lait, avec quelques lardons dedans. Nous y reviendrons. 

Je repars donc du début : une quiche, c'est une pâte avec une préparation coagulée par dessus (on dit « un appareil », en cuisine). Il faudra donc considérer deux parties : la pâte, d'une part, et la migaine d'autre part. 

Pour la pâte, nous savons tous qu'il y en a de sablées, brisées, feuilletées. Souvent, quand nous achetons une quiche, la pâte est feuilletée, parce que cela est le signe d'un travail plus élaboré, plus professionnel. Va pour la pâte feuilletée. 

La pâte feuilletée ? C'est tout simple. On commence par faire un pâte en mélangeant la farine et de l'eau. Combien ? Ne vous en faites pas : partez de farine, et ajoutez de l'eau en mélangeant, cuillerée par cuillerée. Vous obtiendrez une pâte qui ne colle plus aux doigts. 

Ce que l'on ne sait guère, c'est qu'il vaut mieux mettre cette pâte au frais sans quoi elle se rétracte. C'est ce que nous ferons, en mettant la pâte dans une une feuille de plastique transparent, afin qu'elle ne sèche pas, ne croûte pas. Puis nous la sortirons après environ une heure, et nous l'étalerons en une galette un peu épaisse. Dessus nous déposerons du beurre malaxé pour qu'il soit mou : une masse comprise entre la moitié de la masse de pâte et la masse de pâte complète. Nous posons une sorte de disque de beurre sur le disque de pâte, et nous replions la pâte par-dessus le beurre pour l'envelopper comme une lettre dans une enveloppe. Puis, l'aide d'un rouleau à pâtisserie, nous étendons l'ensemble de sorte qu'il soit environ trois fois plus long que large, et nous le replions en trois. Nous le tournons d'un quart de tour, et nous recommençons l'opération d'allongement et de repliement. Puis nous remettons la pâte dans le film, et nous remettons au frais, sans quoi, surtout en été, le beurre risque de fondre exagérément et de fuir tous les côtés. Après une demi-heure à une heure de repos de la pâte au frais, nous reprenons l'ensemble, nous l'étendons trois fois plus long que large, nous plions en trois, nous tournons d'un quart de tour, nous étendons trois fois plus long que large, nous replions... et nous filmons, nous remettons au frais. Là, nous avons fait quatre tours. Il ne reste que deux tours à faire, juste avant la cuisson. Je n'explique donc pas comment on fera ces deux derniers tours, puisque j'ai déjà expliqué cela deux fois, mais je me limite à préciser que, finalement, nous étendrons la pâte à la taille du moule, un peu épaisse si nous voulons la voir gonfler considérablement, et très mince si nous voulons éviter le gonflement, ce qui est le cas pour une quiche. 

Pourquoi le gonflement aurait-il lieu ? Parce que la pâte contient de l'eau, et que l'eau qui s'évapore prend plus de volume que l'eau liquide ; comme la vapeur est entre des feuillets de beurre, les feuillets de pâte se séparent avant de sécher. D’ailleurs, pour éviter un gonflement excessif, on a coutume de piquer la pâte avec une fourchette, ce qui soude les couches, mais conserve une consistance feuilletée. 

La cuisson ? Un four à 180° pendant 30 à 50 minutes fait l'affaire. Faites donc des essais : vous identifierez les paramètres qui vous conviennent, et votre entourage sera ravi de participer à des expérimentations qui se concluent toujours par la dégustation. 

 

Reste l'appareil, la migaine, la préparation qui coagule. 

Nous avons vu qu'il s'agit de lait et de crème, c'est-à-dire d'eau et de matière grasse, mélange auquel on ajoute de l'oeuf, c'est-à-dire de l'eau et des protéines. À la cuisson, les protéines coaguleront, fixant l'ensemble dans une sorte de grand filet, de sorte que l'eau restera dans le réseau, tout comme les morceaux de lard qui, eux, contrairement aux molécules d'eau, sont bien visibles à l'oeil nu. Le lard ? C'est de la poitrine fumée, que vous aurez ou non fait rissoler par avance ; c'est une question de goût. 

A ce stade, il faut évoquer différentes écoles. Il y a ceux qui mettent la migaine dans la pâte, directement, et ceux qui cuisent d'abord la pâte "à blanc", sans garniture, afin qu'elle soit bien cuite, et qui, dix minutes avant la fin de la cuisson, ajoutent la préparation afin qu'elle reste tendre. 

Les bons cuisiniers lorrains ont l'habitude de dire que la quiche est prête quand elle se met à gonfler. C'est en effet le signe que la coagulation a eu lieu, et que la vapeur qui voudrait s'échapper est bloquée par la migaine juste coagulée. 

Ah, j'ai oublié nombre de détails : muscade, sel, poivre... mais rappelez-vous que je ne suis pas cuisinier. Si j'ai de bons maîtres, je propose surtout ici d'analyser la composante technique de la cuisine. Pour la partie artistique, je vous renvoie aux artistes... Mais attention : aux artistes, et non pas aux techniciens. 

Et, pour terminer, rappelons que la cuisine, c'est d'abord du lien social, avant d'être de l'art ou de la technique. La vraie question est de savoir comment donner du bonheur à nos amis. Faire une quiche, c'est bien, mais nos amis percevront-ils tout le mal que nous nous sommes données pour eux ? Cela peut apparaître si l'on a bien déposé la pâte, si l'on évité que le fond charbonne, si l'on a une surface légèrement brunie, si la quiche paraît gourmande, avec assez de lardons, coupés de la bonne taille, soigneusement désossés... Et puis, il y a tout le reste : le plat où la quiche est placée, la nappe sur laquelle le plat est posé, les couverts soigneusement disposés, le couteau avec sa lame vers le convive, et la fourchette à la française, avec les dents vers la nappe, au lieu de montrer des pointes agressives à nos vis à vis. Il y a la lumière, la couleur, l'environnement sonore, le moelleux des coussins ou la bonne assise des chaise. 

Bref, une quiche, c'est bien plus qu'une quiche, et c'est seulement si l'on a bien dit je t’aime que nos amis le percevront clairement, et qu'ils auront toutes les bonnes raisons de nous aimer en retour. La quiche ? Une occasion de ne pas manquer d'établir de merveilleuses relations entre les individus. J'aurais pu dire cela de n'importe quel plat, et nous aurons donc l'occasion d'y revenir.

vendredi 15 septembre 2023

Le repos des pâtes et la cuisson

 

Un correspondant me dit :
"il se partage souvent que le repos au froid est benefique pour la cuisson"[sic].

Et là je n'en sais vraiment rien. Il va falloir que nous organisions un séminaire en divisant une pâte en deux et en faisant reposer la moitié au froid tandis que l'autre restera à température ambiante. Nous cuirons ensuite les deux pâtes ensemble et nous organiserons un test sensoriel en aveugle pour savoir si les juré perçoivent une différence.

Les fameux émulsifiants



Les oeufs serviraient d'émulsifiants pour suspendre les corps gras ce qui donnerait une texture plus moelleuse aux sablés ou aux pâtes à foncer  ?

Les œufs contiennent des protéines, et ces protéines peuvent enrober des gouttelettes de matière grasse et contribuer à leur dispersion, notamment dans des émulsions. Elles peuvent  également contribuer à disperser des bulles d'air.

Dans les deux cas, il faut une phase aqueuse pour accueillir les structures dispersées,  puisque une émulsion est -au moins dans les cas qui nous concernent- une dispersion de gouttelettes d'huile dans  une solution aqueuse, tandis qu'une mousse est une dispersion de bulles d'air dans une solution aqueuse.

la texture est-elle alors plus moelleuse ? Le mot moelleux est ambigu car on comprend bien que le moelleux d'une mousse, avec des bulles d'air dispersées n'est pas le moelleux d'une émulsion, avec des gouttelettes des matières grasses dispersées.

Le beurre froid dans les pâtes à foncer ?


Travailler le beurre froid avec la farine et le sucre permettrait d'obtenir des biscuits friables et croustillants ?

 Est-il exact que le beurre froid ait vraiment une importance ? Mes sentiments à cet égard ne sont aucune utilité et c'est là typiquement une de ses idées que nous devons tester lors d'un séminaire, dans des conditions rigoureuses.

C'est l'occasion de rappeler que les séminaires de gastronomie moléculaire sont des rencontres ouvertes à tous, gratuites, et qui donnent lieu à des comptes rendus parfaitement rédigés et envoyés à tous ceux qui les demandent.

L'idée, c'est de partir de précisions culinaires :  trucs, astuces, tours de main, on dit, proverbes, dont on se demande s'ils sont justes. Nous les discutons avant de les tester expérimentalement en public.
Une fois les tests fait, la question est résolue le plus souvent, et je me demande bien comment les enseignants peuvent faire quand ils n'ont pas les résultats des tests expérimentaux.

Quant aux praticiens, ils se reposent souvent sur des intuitions sans avoir de certitude, et les  séminaires, qui fonctionnent ainsi chaque mois depuis 23 ans, sont en quelque sorte la seule façon qu'ils aient d'avoir des idées fiables, définitives sur ces questions.

Je ne dis pas que des individus ne puissent pas faire ce genre de tests, mais en pratique ils ne le font pas. Il y a lieu d'être extrêmement rigoureux dans les conditions expérimentales mais aussi dans les appréciations des résultats.

Congélation et gluten



On me dit que le repos, lors de la congélation d'une pâte,  aiderait à la détente du gluten.


Lorsqu'on travaille une pâte, qui contient notamment de la farine et de l'eau, l'eau vient ponter les protéines nommées gliadines et glutenines, ce qui  forme un réseau viscoélastique de gluten.

Viscoélastique, cela signifie que ce réseau, un peu jaune (par rapport au blanc des grains d'amidon) , est à la fois visqueux, à savoir qu'il s'écoule,  et élastique,  à savoir qu'il revient sur lui-même quand on l'étire.

Ce réseau viscoélastique est à l'origine de la rétraction des pâtes, ce que l'on verra facilement en abaissant une pâte à tarte, puis en la coupant avec un emporte-pièce qu'on laisse sur place : après une vingtaine de minutes, on voit que la pâte s'est rétractée, faisant un espace par rapport à l'emporte-pièce.

Cette rétraction a lieu quand on abaisse la pâte, et, lors d'un séminaire de gastronomie moléculaire, nous avions testé un long repos de la pâte avant de l'abaisser mais nous avions vu que la rétraction avait également lieu puisqu'on avait abaissé la pâte et donc travaillé le réseau de gluten.

Pour la congélation, je ne sais pas ce qu'elle fait, puisque je n'ai pas fait l'expérience mais je prends le pari que ce sera le même type de phénomènes.

Les pâtes avec du sucre roux ou brun

 

Les sucres bruns feraient des pâtes  plus denses, qui développeraient mieux après un ajout de poudre levante ?

Je n'ai jamais vu d'étude rigoureuse à ce propos, de sorte que je n'en sais rien : il faudra un séminaire de gastronomie moléculaire pour le déterminer.

lundi 11 septembre 2023

Le beurre et la farine dans une pâte

 
Le beurre permettrait d'envelopper les protéines de la  farine, quand on fait une pâte ?

Ainsi posée, la question est très probablement négative, ou, plus exactement, la question n'a pas de sens, parce que le beurre et les protéines ne sont pas à la même échelle.

Le beurre, c'est une matière principalement formée de très nombreuses molécules de triglycérides : pensons à un énorme paquet de poulpes à trois tentacules, chaque poulpe représentant une molécule de triglycérides.

Dans le beurre, il y a également un peu d'eau, jusqu'à 20 % au maximum mais comme celui-ci n'interviendra pas dans la description qui est faite maintenant, oublions-le.

Les protéines maintenant, et notamment les protéines de la farine, sont des objets de la taille des poulpes, et pas du beurre (lequel est fait de milliards de "poulpes"). Ces protéines sont essentiellement isolées, et c'est seulement  quand elles sont en présence d'eau quelles forment d'un grand filet de "gluten", chaque molécule de protéine faisant un tout petit bout d'une maille.
Ajoutons que les protéines sont le plus souvent solubles dans l'eau de sorte qu'il n'y a aucune raison qu'elles soient enveloppées par le beurre.

D'ailleurs, que signifierait "enveloppé par le beurre" ? Stricto sensu, cela voudrait dire qu'une molécule de protéines s'entourerait de molécules de triglycérides  ? Mais cela n'arrive pas car il n'y a pas de liaison possible entre ces deux types de molécules.

Et tant que je n'ai pas vu d'article établissant la thèse discutée ici, il faut considérer que c'est de la pure invention. 

En revanche, on peut parfaitement parler de farine enrobée dans du beurre, comme on le voit sans peine quand on sable du beurre avec de la farine.

jeudi 7 septembre 2023

Des "pâtes de protéines" ?



On m'interroge à propos d'une "pâte de protéines" et, là encore, la question est beaucoup trop floue pour que je sache quoi répondre.

Commençons donc simplement par évoquer la poudre de blanc d'oeuf. Cela s'achète au kilo et l'on a une espèce de poudre analogue et de la farine sauf qu'il ne s'agit pas de polysaccharides mais de protéines.

La poudre de blanc d'œuf ? Pour la produire, il suffit d'évaporer l'eau d'un blanc d'oeuf, puisqu'un blanc d'oeuf est fait de 90 % d'eau et de 10 % de protéines.

Soit donc un récipient contenant cette poudre,  ces protéines. Si on prend une cuillerée de protéines et une cuillerée d'eau, alors on obtient une pâte très épaisse.
Si on prend une proportion d'eau supérieure, alors la pâte devient moins épaisse, exactement comme avec de la farine : tout cela s'apparente donc à la confection d'une pâte à crêpes à partir de farine et d'eau, ou bien de farine et de lait, ce qui revient au même un peu de choses près.

On peut donc faire des pâtes de protéines sans aucune difficulté à condition d'avoir de l'eau et des protéines.

Jusque-là, je n'ai évoqué que les protéines d'œuf mais il y a des protéines dans bien d'autres produits,  animaux ou végétaux.
Et c'est ainsi que les légumineuses sur le soja, le poids, la féverole, cetera sont des végétaux qui précisément, produisent des protéines. Des protéines végétales, dans ce cas, mais qui  sont sous la forme d'une poudre comme la poudre de blanc d'oeuf.

Et on les utilise exactement comme je viens de le décrire. On peut donc partir d'un paquet de protéines végétales et faire une pâte de protéine.

Evidemment, dans l'expérience que je décrite, j'ai proposé de prendre de l'eau mais on peut prendre de l'eau qui a du goût  : thé, café, jus d'orange, jus de tomate, vin, bouillon, et cetera.

Que faire d'une telle pâte ? Si l'on veut on peut faire des spaghettis, on peut faire des feuilles comme pour des lasagnes, on peut faire des crêpes, on peut faire des galettes, on peut faire exactement ce que l'on veut.

Et si les protéines ont été choisies de telle façon qu'elles puissent coaguler, alors on pourra faire l'équivalent d'une viande (un "dirac"), au moins du point de vue de la consistance.

Mais on peut faire bien mieux et par exemple étaler la pâte de protéine, la strier à la fourchette, la cuire, la rouler sur elle-même en feuille et obtenir comme un surimi.

On peut donc faire exactement ce que l'on veut à condition de comprendre.

Au fait ? Le goût ? On se souvient que le goût, c'est la couleur, la consistance, la température, les saveurs, les odeurs, et les piquants et les frais, et cetera.
On oubliera donc pas, avant cuisson ou avant l'utilisation d'ajouter à la pâte de protéines des composés qui donnent de la couleur, de la de la saveur, de l'odeur, et cetera.

La saveur ? Evidemment le sucre, le sel, l'acide tartrique... Bref tout ce que vous voulez.
L'odeur ? Là encore, grâce à la cuisine de synthèse que j'avais surnommé cuisine note à note, nous avons maintenant des composés qui donnent de l'odeur sur mesure, et le cuisinier, comme un parfumeur, peut construire le goût du plat qu'il produit.

lundi 6 décembre 2021

Pour de la pâte feuilletée tendre



La pâte feuilletée peut être délicieuse, quand il y a assez de (bon) beurre dedans, mais, malgré la forte proportion de beurre, elle peut être "dure", difficile à couper.
Je crois que cela tient à la détrempe qui, classiquement, se fait à partir de farine, de sel et d'eau. Le frasage contribue à donner une dureté qui se retrouve ensuite dans les feuillets qui se forment à la cuisson.

D'où l'idée de mettre du beurre dans cette détrempe, comme dans la pâte feuilletée inversée.

Donc deux possibilités :

1. On part de 200 g de farine, avec 100 g de beurre, on sable, on sale et on ajoute juste assez d'eau pour faire une pâte friable, que l'on ne travaille pas trop. Puis on ajoute 100 g de farine à 200 g de beurre. Et l'on utilise les deux masses pour faire les tours, en posant le beurre fariné sur la détrempe beurrée

2. On fait un feuilletage inversé, avec la pâte farinée sur le beurre fariné, et des tours en nombre approprié.

mardi 14 janvier 2020

La pizza : avec une pâte fermentée ou non ?


La pâte à pizza, c'est véritablement très simple, puisqu'il s'agit seulement de faire une pâte en malaxant de la farine et de l'eau, éventuellement avec un peu d'huile d'olive et du sel ; puis on étale  en couche mince avant de déposer par-dessus une garniture. On cuit et l'on obtient un résultat qui est déjà assez satisfaisant.




Mais il y a un grand débat à propos de cette pâte :  faut-il la fermenter avant la cuisson ? La fermentation n'est pas une opération très difficile à conduire aujourd'hui, puisqu'il suffit  de mettre, dans l'eau que l'on mêle à la farine, un peu de levure, c'est-à-dire des cellules vivantes qui ont la capacité de se multiplier, ce qui signifie qu'une cellule en fait deux, puis que chaque nouvelle cellule en fait à nouveau deux, et ainsi de suite... tout en produisant  un gaz qui a pour nom dioxyde de carbone. Ce gaz forme des bulles et c'est son accumulation qui fait gonfler la pâte.

Avec cette image, il semblerait qu'il n'y ait qu'une question de volume, de consistance, et c'est la raison pour laquelle beaucoup pensent que la fermentation est inutile : les nans indiens ou les  pains arabes ne gonflent-ils pas à la cuisson sans qu'il soit nécessaire d'opérer une fermentation ?

Oui mais

Oui mais toute personne qui aura déjà testé une fermentation et  aura mis son nez au-dessus de la masse qui fermente  aura  facilement  perçu une odeur merveilleuse, alcoolisée, complexe :  c'est que la fermentation ne se limite pas à la production de dioxyde de carbone, mais s'accompagne également de la libération d'une foule de composés organiques qui ont possiblement de l'odeur et de la saveur.

Et c'est ainsi qu'une pizza dont la pâte a été fermentée a  un goût extrêmement différent d'une pizza où l'on s'est contenté d'aplatir de la pâte et  de cuire !

samedi 8 décembre 2018

La pâte à Strudel


En Alsace, c'est le Strudel, mais on trouve analogue ailleurs : avec la "croustade" en Pays de Cocagne, le pastis en Gascogne, et j'en passe : il s'agit d'une pâte très mince que l'on préparait naguère sur la table de la cuisine : à partir d'une petite boule de pâte, on abaisse, on abaisse, jusqu'à obtenir une nappe à travers laquelle on voit. Puis on dépose, par exemple, de la poudre d'amandes, des raisins secs gonflés au rhum et des pommes, avec beaucoup de cannelle, et l'on roule pour avoir autant de couches que possibles, toujours très minces. Quand on cuit (45 minutes à 200 degrés), on obtient... un dessert d'autant plus délicieux qu'on n'a pas oublié le beurre et le sucre !

Mais la question, c'est d'étendre la pâte !

Oui, étendre la pâte semble facile, mais faites l'expérience, et vous verrez qu'elle se crève rapidement, ruinant tous nos efforts. Bien sûr, il y a des "trucs", tel celui que j'ai recueilli dans une ferme du Lauragais, qui consiste, avant d'étendre à taper longuement sur la pâte à l'aide d'un rouleau à pâtisserie. Amusant, d'ailleurs, que ce conseil rejoigne une technique mise en oeuvre au Japon, pour des desserts de riz, pour le Nouvel An.
Et en pratique ? De mon expérience, ça n'a pas marché. Alors ?
Alors, j'ai eu la chance de n'avoir sous la main qu'une farine très mauvaise qualité, sans "gluten" (des protéines), et la pâte ne se tenait pas. Impossible dans ces conditions d'obtenir un réseau de gluten qui puisse se tenir quand on l'étale. Et, en corollaire, on conclut qu'il faut une farine plutôt de type 55 pour bien réussir la chose. Et, surtout, qu'il faut travailler beaucoup pour bien former ce réseau protéique. Je suppose que les coups de rouleau à pâtisserie visaient à renforcer le réseau de gluten... sauf qu'une bonne transformation du boulanger fait bien mieux l'effet : on étire, on replie, on étire, on replie, et l'on procède ainsi jusqu'à avoir une pâte très lisse.
D'autre part, il y a la question de la matière grasse : dans le Lauragais, on utilise la graisse de canard, mais ailleurs, de l'huile fonctionne très bien.
Enfin, il y a le repos de la pâte, qui semble important (mais à vérifier).
 
 Une recette

Bref, j'en suis au point suivant :
1. dans un saladier, mélanger 150 g de farine de type 55, 2 à 3 grosses cuillerées d'huile, et de l'eau jusqu'à ce que l'on ait une pâte à la limite du collant
2. la travailler beaucoup, comme dit précédemment
3. quand elle est très lisse, et qu'elle a pris du corps, on la fait reposer sous un linge (pour éviter un croûtage)
4. alors on place le pâton sur une surface légèrement farinée, et l'on étale, tout d'abord le plus possible au rouleau, puis ensuite à la main, jusqu'à ce que l'on voit à travers la pâte

 Pour un Strudel aux pommes et aux raisins, il reste alors à garnir avec poudre d'amandes, pommes coupées, raisins longuement gonflés dans le rhum, cannelle, beurre, sucre. On roule, puis on cuit sur une plaque, en sucrant  et beurrant la surface, avant d'ajouter encore un peu de cannelle. Au four à 205 degrés pendant 45 à 50 minutes.




dimanche 4 mars 2018

A propos de pâtes à tarte

Ce matin, un ami m'interroge :

xxx se plaint régulièrement de ne pas pouvoir faire ou rattraper ses pates brisées, même en suivant scrupuleusement (dit-elle) des recettes  : 
1) soit la pâte ne s'étale pas bien, se casse à l'étalement
2) soit elle s'effrite (sable ?) complètement après cuisson
De sorte qu'un rappel de la physicochimie des pâtes sablées/brisées/feuilletées serait fort utile!

Pour faire simple, il faut d'abord distinguer les pâtes faites de nombreuses couches très minces, que nous dirons "feuilletées", et les pâtes d'un seul tenant, plus ou moins friables, parmi lesquelles nous devrons distinguer les pâtes brisées et les pâtes sablées.


Commençons pas les pâtes feuilletées

Au début, il y a la pâte, que  l'on fait simplement en malaxant de la farine avec de l'eau. A noter que cette farine peut venir de blé, de riz, de maïs, mais aussi de châtaigne, de blé noir, de lentilles, et de bien d'autres produits qui contiennent de l'amidon.
Quand la farine est de blé, le malaxage produit un "réseau", comme un échaffaudage volumineux qui emprisonnerait les grains d'amidon. Ce que l'on peut voir en faisant d'abord une pâte bien travaillée, puis en malaxant doucement cette dernière dans de l'eau  a: on voit une poudre blanche se séparer d'une sorte de "filet" mou. Il y a deux siècles, on a nommé respectivement amidon et gluten ces matières.
Mais revenons à notre pâton : quand on l'étale, le filet de gluten s'étire, et l'on peut, s'il est bien établi (parce qu'on l'aura travaillé beaucoup), étirer la pâte en une couche très mince, qui couvre la table de la cuisine. Puis, en déposant des pommes (par exemple) et en roulant la pâte autour comme on fait d'une momie, on obtient un grand nombre de couches de pâte, qui vont devenir croustillantes à la cuisson : c'est la recette du strudel, de la croustade ou du pastis gascon, les ancêtres de la pâte feuilletée.
Pour la pâte feuilletée, on obtient un résultat supérieur avec bien moins de travail : on enferme du beurre dans de la pâte, puis on étend et on plie en trois, on étend et on plie en trois, six fois de suite, ce qui conduit à 730 couches de pâte séparées par 729 couches de beurre. Ainsi, à la cuisson, on a immédiatement 730 couches croustillantes très minces : c'est la pâte feuilletée.


Puis les pâtes brisées et sablées

Si l'on se contente de faire la masse de pâte d'un seul tenant, alors il faut penser qu'il y a deux cas extrêmes :
- soit on disperse les grains de farine dans le beurre
- soit on disperse le beurre dans le réseau de gluten qu'on aura obtenue en malaxant d'abord la farine avec l'eau.
Dans le premier cas, on a quelque chose de sableux, de friable : les grains de farine sont "cimentés" par le beurre, qui font à la cuisson et reprend au refoidissement... à condition qu'il ne fasse pas trop chaud. C'est la pâte sablée.
Dans le deuxième cas, on a quelque chose de dur, qui se tient, mais qui manque de friabilité. C'est la pâte brisée.

D'où la réponse aux problèmes de notre amie  : si la pâte est friable, ou bien si la pâte s'effrite après cuisson c'est que le réseau de gluten n'est pas suffisant, ou bien que le beurre n'est pas assez dur. Cela peut découler soit d'une insuffisance de gluten dans la farine, soit d'une température excessive, soit d'un travail insuffisant de la pâte (je rappelle qu'il faut "fraser" la pâte, à savoir la presser contre le plan de travail à l'aide de la paume de la main).


Quant à inventer de nouvelles pâtes à partir de ces connaissances, c'est évidemment facile... mais je vous renvoie à mon livre "Mon histoire de cuisine", aux éditions Belin.




















 Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)  

mercredi 31 août 2016

Pâte feuilletée directe ou inversée ? C'est si facile !


Pour les amateurs de cuisine, il y a des monstres sacrés, et la pâte feuilletée en est un. Je sais d'expérience, notamment par les séminaires de gastronomie moléculaire que nous  tenons tous les mois, que beaucoup de mes amis s'effraient  à la perspective de produire des pâtes feuilletées : ce serait long, ce serait difficile, ça raterait…

Long ? Si l'on veut faire dans les règles de l'art, il y a  lieu  d'y passer, montre en main, dix minutes au total, mais, dix minutes réparties sur quelques heures. De surcroît, la pâte feuilletée se congèle très bien, de sorte qu'il n'est pas nécessaire, même, de passer ces dix minutes chaque fois.

La pâte feuilletée inversée ? J'en ai même produit dans l'urgence, en mettant bien moins que dix minutes ! Bien sur, mes amis pâtissiers me feront reproche de vanter un travail mal fait, c'est-à-dire qui ne produit pas des feuilletages aussi soufflés qu'ils pourraient l’être. Il y aura des discussions interminables à propos des diverses phases de repos (éventuelles), mais, ce qui est amusant, c'est que j'ai rarement vu publiées des comparaisons des diverses pratiques ;  j'entends beaucoup de baratin, mais où sont les résultats expérimentaux fiables ?  Oui, il est probable (j'ai dit probable seulement) qu'une pâte feuilletée rapidement faite ne lèvera pas autant qu'une pâte feuilletée faite dans les règles de l'art (d'où sortent-elles, ces fameuses règles de l'art). Mais probable combien ? Le temps de repos est-il vraiment le paramètre essentiel ? Ou la température ? A ce jour, je ne connais pas de compte rendu d'expérience qui l'établisse, de sorte que je ne peux pas le garantir à mes amis.

Faisons donc rapidement, pour commencer, une pâte feuilletée classique, dite « directe et à six tours », ou, plus exactement, à trois fois deux  tours simples. On va voir que cela n'est pas compliqué.
On commence par prendre de la farine, de l'eau, un peu de sel, et l'on fait une boule de pâte lisse. C'est donc un jeu d'enfant. Puis on prend du beurre (entre la moitié de la masse de farine, et une masse égale), que l'on malaxe afin qu'il soit bien mou, qu'il n'y ait pas ces sortes de morceaux  durs qui, cela est certain pour le coup, nuiraient à la réalisation. On étale le pâton en un disque un peu épais, puis on étale le beurre en un disque plus petit, que l'on pose sur le pâton. On referme le pâton sur le beurre, afin de faire une enveloppe, et, là, certains préconisent  un temps de repos au réfrigérateur  ou au frais.
Vient alors le premier « tour » :  à l'aide d'un rouleau, on étale la masse totale de sorte qu'elle en vienne à être trois fois plus longue que large, et on replie en trois. Puis on tourne l'ensemble d'un quart de tour, on étale à  nouveau trois fois plus long que large, et l'on replie encore en trois. Là, encore une étape au frais est parfois conseillée. Il faut ainsi faire trois fois deux tours simples, et l'on a compris qu'un tour simple consiste à étendre trois fois plus long que large et à replier en trois.
Vient alors le moment d'abaisser la pâte,  c'est-à-dire de l'étaler pour la mettre dans le moule, puis de la cuire, plutôt par la sole, c'est-à-dire par la base du four, pas trop chaud, afin que la cuisson soit un peu longue, car cette dernière est lente, même à 170 degrés (les pâtes insuffisamment cuites sont un peu indigestes, même si j'en connais qui les aiment). Le tour est joué : à la cuisson, la pâte va gonfler, et l'on aura  ainsi produit une pâte feuillée.

Passons maintenant à la pâte feuilletée inversée, qui semble le summum de l'audace, de la difficulté. Pensons : inversée !
Ici, on part encore de deux masses, mais celles-ci sont produites de la façon suivante. Pour un « pâton farine », on prend trois parties de farine pour une partie de beurre. Quand on malaxe, le beurre se disperse dans la farine. D'autre part, pour un « pâton beurre », c'est l'inverse, à savoir que on prend trois parties de beurre pour une partie de farine, et, cette fois, c'est la farine  qui vient se disperser dans le beurre. Je passe sur les étapes de repos au frais qui sont parfois conseillées, et j'en arrive à l'étape qui  consiste à poser le pâton farine sur le pâton beurre, après les avoir chacun étalés en disques un peu épais. On replie encore en enveloppe, mais, cette fois, on fait deux tours doubles et un tour simple.
Un tour double, cela consiste à étendre en une forme quatre fois plus longue que large et à replier comme un portefeuille, c'est-à-dire d'abord les deux quarts extérieurs sur les deux quarts intérieurs, puis l'ensemble en deux. On cuit comme précédemment, et, selon mon expérience, on obtient souvent des feuilletages qui gonflent  mieux que les feuilletages directs, mais je ne peux pas l'affirmer car je n'ai pas fait d'expériences sérieuses, quantitatives, validées…  Ce n'est qu'une impression. En revanche, ce que je sais de façon certaine, c'est que  le nombre de feuillets n'est pas le même dans les deux préparations, que l’épaisseur de ces feuillets n'est pas la même, et que le gonflement et la dégustation ont donc des raisons théoriques d'êtres différents.

En tout cas, on l'a vu : rien de tout cela n'est difficile, et j'engage tous mes amis à vaincre leur peur et à faire leurs propres feuilletages,  à partir de bon beurre et de belle farine, et, surtout, avec cet ingrédient qui fait que nos hôtes apprécient notre cuisine : beaucoup de soin fondé sur beaucoup d'amour.

mercredi 31 juillet 2013

Mercredi 31 juillet 2013. Battre la pâte à crêpes ?




Les crêpières ont-elles raison de dire que la pâte doit être bien battue ? J'ai rencontré cette question il y a bien longtemps, alors que, travaillant dans une crêperie, en Bretagne, j'étais notamment chargé de la préparation de la pâte à crêpes et à galettes.
J'utilisais alors une énorme bassine en plastique bien propre, où je mettais de la farine de blé noir, du lait, de l'eau, du sel. Pas d'oeufs, évidemment, car la tradition bretonne n'en préconise pas, limitant les oeufs aux crêpes de froment ; pour la galette de sarrasin, ou blé noir, l'oeuf changerait le goût de la pâte, ferait perdre son caractère puissant.
Je me mettais alors torse nu, puis je mélangeais les ingrédients, à la main, jusqu'à ce que la pâte soit lisse. Toutefois les crêpières avaient observé que, lorsqu'elles utilisaient cette pâte, les galettes collaient parfois au bilic (l'instrument sur lequel on cuit crêpes et galettes), alors que, d'autres fois, elles ne collaient pas. Nous avions identifié que les galettes semblaient moins coller quand, lors de la préparation de la pâte, je l'aérais, en soulevant la pâte de la paume de la main, et en la lançant vers la bassine, afin de faire cloquer, de faire apparaître de grosses bulles d'air.
Il semblait... Il semblait, mais comment en avoir le coeur net ? Dans le feu du travail d'une crêperie, il y a peu de place pour des expérimentations, et je me posais la question depuis 35 ans... Finalement, l'introduction d'air dans la pâte à galettes a-t-il un effet sur la confection des galettes de blé noir ? Passons sur le pléonasme « galettes de blé noir », car les vraies galettes sont toujours obligatoirement de blé noir, mais conservons la question : l'introduction d'air change-t-il quelque chose aux résultats ?
Le test s'est finalement fait correctement sur le stand d'AgroParisTech, au Salon de l'agriculture, en public, où nous avons introduit de l'air n'ont pas la main, mais avec un batteur électrique. Une pâte à galette été divisée en deux moitiés, dont l'une était fortement aérées au batteur électrique, et l'autre non. Puis des galettes ont été produites à partir de ces deux pâtes, non pas sur un bilic, mais dans une même poêle, sur le même feu...
Le résultat a été spectaculaire : oui il y a une différence considérable entre les galettes bien aérées et les galettes qui n'ont pas été battues. Pourquoi ? Je n'en sais toujours rien, mais je sais que l'expérience nous a fait progresser. Après des décennies d'incertitude, nous avons maintenant un résultat assez bien établie : il y a une différence entre des pâtes bien aérées et des pâtes qui n'ont pas été aérées. D'autres pourront maintenant monter sur dce socle, pour poursuivre le travail d'analyse, et identifier les mécanismes des phénomènes établis.
A vous !