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samedi 25 juillet 2020

Une réponse que je fais à des étudiants

1. Des étudiants avaient analysé le fonctionnement de leur institution de formation, leurs relations avec leurs professeurs, et ils avaient émis un document que j'ai largement analysé dans des billets précédents.
Surtout, je leur avais écrit pour leur dire combien je jugeais leur démarche utile, à poursuivre, et ils s'étaient étonnés que je leur réponde.

J'ai donc répondu à leur réponse :


Chers collègues
Vous ne vous attendiez pas avoir un retour personnel de la part d'un professeur ? Il est vrai que c'est un peu par hasard que vous l'avez, puisque, en réalité,  j'avais vu traîner une copie imprimée de votre document initial, et c'est par une espèce de curiosité mal placée que j'ai vu que vous évoquiez des questions qui me passionnent depuis des années.

Le débat terminologique qui consiste à savoir s'il faut parler d'étudiants, ou de collègues (jeunes, moins jeunes, etc.), ou même d'amis va bien au-delà du clin d'œil, car je suis resté en réalité un étudiant, qui étudie exactement comme je le faisais à l'ESPCI, avec la même fougue, la même passion, la même curiosité, la même naïveté, le même enthousiasme, et la même envie de partager  avec mes amis ce que je découvre... tout comme je l'étais alors (et je me souviens que le corps professoral me trouvait "remuant", dirions-nous par litote).

Mais, surtout, je me suis toujours indigné des mauvais professeurs... Pas seulement ceux qui nous négligeaient, qui considéraient leur mission comme une "charge", mais aussi ceux qui étaient "techniquement" incapables,  ceux qui ne maîtrisaient pas leurs sujets... Ce sont ceux-là qu'il faut empêcher de nuire.

Mais soyons positifs, car s'il y a de mauvais professeurs, il y en a aussi de bons. Que faisons-nous pour les uns et pour les autres ? Comment nous adaptons-nous à des situations notoires ?  Que fait l'institution  pour ne pas punir les élèves en leur infligeant du médiocre... tout en considérant qu'il y a aussi des élèves qui posent des problèmes ?

Là encore, je propose de sortir de la discussion par le haut, en ne restant pas braqués sur des situations particulières, trop nombreuses pour mériter un traitement général, mais en inventant des formes d'études nouvelles.
C'est ce que j'ai fait  à l'Institut des hautes études de la gastronomie, où les auditeurs (qui payent) évaluent les professeurs ; et pour ne pas mettre de bons intellectuels/mauvais communiquants en situation d'échec, nous innovons dans les formes, avec des visites de Rungis, des promenades dans les vignobles, avec des diners historiques, etc. R
ien de pire que ce format où un professeur isolé est en face d'un groupe d'étudiants, rien de plus clivant : oui, il faut changer cette "lutte des classes.

A minima, il y aurait lieu d'avoir des discussions pour rénover sans cesse les formats d'étude. D'ailleurs, comment supporter que  les  formats d'études ne changent pas ? Le système des études supérieurs aurait-il le privilège d'être le seul qui puisse se fossiliser en toute impunité ?
Et puis, plus positivement, j'ai assez dit que pour le professeur comme pour le cuisinier, l'activité a trois composantes  au moins : technique, artistique, sociale...  mais je vous renvoie, pour ne pas allonger la discussion sur ce point, à mon livre intitulé La cuisine, c'est de l'amour de l'art de la technique.

Bref, vous comprenez que j'avais  un intérêt véritable à vous lire et à vous commenter,  d'autant que vous répondiez à des questions que j'avais posées il y a des années, notamment lors d'un "Débat de l'Agro"...  et je trouve anormal que l'institution n'ait pas répondu à nos remarques d'alors.
J'espère qu'elle saura maintenant répondre... mais j'ai des craintes, car certains de mes collègues plus âgés à qui je m'ouvrais de vos observations ont rétorqué en substance que les élèves font périodiquement ce genre d'observations ; alors...

Oui, mais qu'est-ce qui a été fait pour leur répondre ?   De mon côté, j'ai proposé que l'on mette les individus en face de leurs responsabilités : si les étudiants sont capables d'avoir de l'autonomie, donnons-en leur ! Explorons des formats d'études  nouveaux, explorons l'outil numérique,  multiplions les podcasts si c'est un format qui plaît mieux que les amphis,  et ainsi de suite.
Ne supportons jamais de répéter le même cours deux années de suite, car ce serait la démonstration d'une paresse, d'une incapacité, d'une immobilité coupable ;  cherchons à améliorer sans cesse, non pas tous les dix ans, mais tous les jours !

En suivant votre réponse, maintenant : pour ce que pour ce qui concerne votre document, rassurez-vous  (;-)) :  oui, il en ressort bien que vous critiquez certains professeurs ou, du moins, certains "enseignements" (terme que je récuse, voir les billets à ce propo)s. Et cela ne me choque pas,  car quand la critique est constructive, positive, elle permet l'amélioration.
Ce qui m'inquiète, c'est que vos observations tombent début juillet, et que je pressens des départs vers les plages qui feront retomber le soufflé ! Aurez-vous donné un coup dans l'eau ?

Un détail maintenant :  mon expression "suppression des cours obligatoire" était  fautive  : je voulais dire plutôt "suppression de l'obligation d'assister aux cours" (à l'ESPCI, cette suppression a eu lieu en 1977 !).

Puis, il me semble en lisant votre réponse, mais aussi votre document initial, que la première année d'études après un concours pose une vraie difficulté. Je sais que l'on dit (on le dit, mais faut-il le croire) se remettre lentement de la préparation des concours,  tout comme les jeunes médecins admis après le concours de première année, par exemple.
Mais raison de plus pour y mettre le meilleur du meilleur, en termes d'études ! 

Cela dit, très  honnêtement, je travaille aujourd'hui bien plus que quand j'étais en classe préparatoire, de sorte que le fameux prétexte du relâchement après le concours me fait un peu sourire ! Mais qu'importe : oui, il faut donner un peu d'air (ouvrons la fenêtre vers des sujets passionnants), favorisons la socialisation... sans pour autant tomber dans les beuveries hélas trop courantes parmi les petits esprits.

Surtout pouvons-nous imaginer qu'une année sur trois soit perdue ? Je vous dis cela alors que j'ai été un élève bien dissipé de l'ESPCI, et que, passionné par la chimie depuis l'âge de six ans, je n'ai pas su faire tout mon miel de l'environnement merveilleux qui m'était donné une fois entré à l'Ecole.
Raison de plus pour réfléchir à des moyens d'éviter à d'autres de faire cette même erreur. Et cela de façon positive, sans rétorsion, bien entendu.

D'ailleurs, mon analyse rétrospective me fait souvenir que, malgré des soirées souvent bien "occupées", nous restions passionnés par quelques matières merveilleuses, la théorie de la mesure en mathématiques, les calculs de chimie quantique à l'aide des premiers ordinateurs, la thermodynamique hors d'équilibre...
A nous tous, élèves, professeurs, personnel administratif d'inventer des moyens pour qu'il n'y ait pas une année gâchée sur trois. A nous d'inventer des formes d'étude amusantes, stimulantes, socialisantes même ; à nous d'inventer des organisations pour que le corpore sano vienne avec le mens sana ;  à nous d'inventer des formes d'études qui permettent aux  élèves de s'amuser en étudiants, et aux  professeurs de s'amuser aussi, en aidant les élèves à apprendre... mais on pourrait tout aussi bien dire "pour que les professeurs s'amusent, et les élèves aussi".

En vous lisant à la suite, je vois l'expression "projet professionnel", alors que j'avais écrit "projet personnel".  Nous voulons sans doute dire la même chose, mais je préfère ma formulation, qui ne sépare pas le travail professionnel de la vie, car je déteste l'idée d'un métro-boulot-dodo qui fait toujours apparaître le travail comme une punition. Comme je vous l'ai dit précédemment, mon métier est si passionnant que je n'ai même plus besoin de prendre de vacances. Dans votre document, vous évoquez bien des matières stimulantes intellectuellement, et nous nous rejoignons.

A propos des séances de l'Académie d'Agriculture  : oui, vous avez raison de signaler qu'elles sont souvent passionnantes, car en réalité, elles s'apparentent à des regroupements de conférences de type TED sur un thème  (je le sais, puisque j'en organise). Avec ces séances, nous voulons donner  le meilleur aux auditeurs, et je parle d'auditeurs à bon escient,  car nos séances sont podcastées. Et si nous avons là le meilleur, pourquoi ne pas en faire profiter les étudiants, leur donner ipso facto le meilleur  ? Nous éviterions la critique des "mauvais enseignements" (puisque le meilleur), et il serait facile d'organiser des formats d'études fondés sur le visionnage de ses documents vidéo.

Arrivons maintenant à vos mots à propos de "cursus généraliste"  : je viens de faire un billet où je discute ce terme de "généraliste"... mais, surtout, je fais partie de ceux qui pensent que les ingénieurs ne font bien leur métier que s'ils ont une formation théorique solide (voir l'ESPCI). Cela est également vrai des étudiants qui deviendront scientifiques. Quant à ceux qui seront banquiers, assureurs, voire ministres, ils gagneront à bien connaître les faits sur lesquels ils érigent leurs activités, quitte à ce qu'ils épaulent physique, chimie ou biologie par des matières plus appropriées à leur projet... sans tout confondre : ceux qui veulent faire Sciences Po n'ont qu'à y aller  (et pourquoi pas avec des doubles diplômes ?).

Vous parlez ensuite de la difficulté d'intéresser plusieurs centaines d'étudiants...  mais pourquoi vouloir se lancer dans de vaines entreprises ? Si les goûts diffèrent, n'est-ce pas aller dans le mur que de chercher à leur imposer une unique direction ? C'est le sens de mon analyse sur les "études matricielles", dans un billet précédent.

Et puis, ce qui compte, c'est moins de "recevoir" que d'apprendre : invitons les élèves à créer leur propre chemin, et, surtout, à bien identifier leur projet, en les exposant le plus tôt possible à des sujets variés, qui facilitera leur choix s'il n'est pas fait par avance. Proposons leur des fleurs, afin qu'ils fassent leur propre bouquet, l'institution ayant aidés les individus dans l'art du bouquet.

A propos d'une banque de cours, celle-ci a existé par le passé entre toutes les écoles de ParisTech et c'était absolument merveilleux. Inutile de vous dire que j'y ai largement contribué.
Aujourd'hui nous avons les Cours en ligne d'AgroParisTech (où j'ai personnellement mis des dizaines de cours, en plus de podcast),  de sorte que  l'outil nécessaire pour faire ce que vous demandez et que je propose aussi n'est plus à créer  : il existe !

A propos de parrainage : peut-on trouver 320  parrains ? D'abord, on peut imaginer qu'un même parrain ait plusieurs filleuls, et ensuite, oui : le total des personnes permanentes à l'Agro est supérieur à 320. D'autant que l'on peut sans doute compter sur des chercheurs Inrae dans les UMR, et que l'on pourrait recruter des anciens élèves  ! Soyons inventifs, et trouvons des solutions.

Enfin, les travaux pratiques : je suis certain que, si la chose s'impose, alors elle s'impose. L'intendance doit suivre, et à nous, à nouveau, d'inventer des formes adaptées à nos possibilités.

Bref, je ne vois que des opportunités de faire évoluer des formats qui  sont trop longtemps restés figés : nous sommes à l'ère du numérique, et nous n'avons pas la possibilité de ne pas utiliser ces méthodes pour faire mieux qu'au Moyen Âge.

mercredi 22 juillet 2020

A qui le statu quo profite-t-il ?

1. Je m'en amuse,  mais c'est en réalité un peu triste :  il y a maintenant un an, des étudiants avaient émis un brûlot, une analyse extraordinairement précise & caustique de leur formation. Cela m'a donné l'occasion de préparer des centaines de billets sur le blog qui se trouve à l'adresse suivante : https://hervethis.blogspot.com/2019/02/a-propos-detudes-superieures-defaut-de.html ou encore http://www2.agroparistech.fr/-Le-blog-de-Herve-This-Vive-la-connaissance-.html.

2. À l'époque, je m'interrogeais sur le fait que ce document  soit publié en juillet, alors que l'on pouvait prévoir que tout le monde s'éparpillerait dans la nature & que tout cela serait vite oublié. C'est bien ce qui s'est passé : nos amis sont partis en vacances, sur les plages, & leur coup d'épée a été donné dans l'eau.

3. Pas complètement, puisque d'innombrables billets de blog ont conduit à des analyses approfondies & à des  propositions, mais quand même, on n'a plus entendu parler de rien après l'été. Cette année, ils ont repris les cours comme d'habitude & rien n'a changé : ni du côté des étudiants, ni du côté des professeurs, ni du côté de l'institution ce formation. Les craintes  étaient justes.

4. Reste que la question demeure, que toutes les critiques qui ont été formulées, toutes les propositions qui ont été faites conservent une force absolue.
Il faut donc s'interroger sur la raison pour laquelle il n'y a pas eu plus d'effet. Bien sûr, l'année 2019-2020 a été un peu particulière, marqué par les vociférations des gilets jaunes, puis les grèves à l'occasion d'une possible réforme des retraites, &, ensuite,  la pandémie de coronavirus qui a complètement désorganisé les formations telles qu'elles étaient par le passé. Cette fois,  aucun de ces présentiels que je contestais n'était plus possible, de sorte que mon souhait de voir des étudiants étudier en autonomie a été exaucé. Pourtant, on a fait ça dans l'urgence, en bricolant des cours pour les adapter au système numérique dont on disposait : Team, Zoom, Skype, etc. On a remplacé des cours dans une salle par des cours à distance avec un écran, mais on a pas véritablement tiré parti des possibilités du numérique, on n'a pas réformé en profondeur la façon dans les études se font.

5. Que l'on ne compte pas sur moi pour baisser la garde, car  c'est en ancien étudiant assez remonté contre un système déplorable  que je  discute ici des questions de formation.

6. J'invite tous mes amis à regarder à l'étranger comment  sont organisées les formations,  & l'on s'apercevra d'une espèce de carcan terrible de notre Education nationale, de la maternelle aux études supérieures ! Avec des résultats pas si bons que cela, de surcroît.  Il y a lieu de beaucoup changer.

7. Mais je ne peux m'empêcher de penser que l'absence de changement convient parfaitement à beaucoup : professeurs,  institutions formation  ou étudiants.

8. Pour autant, il y a une véritable responsabilité à observer qu'il n'y a pas eu de changement, & que cela correspond à de la mauvaise foi de la part des trois groupes, qui se se plaignent sans rien faire. Je m'étonne qu'aucun des billets publiés n'ait suscité de réactions. Enfin, je m'étonne... Disons que,  lucidement, je sais parfaitement à quoi m'en tenir, hélas.


Luttons sans relâche contre le Ragnarok éventuel.

lundi 20 juillet 2020

Mesurer les distances !

1. L'automne dernier, j'ai testé pour la première fois, avec des étudiants d'un master international,  un cours de gastronomie moléculaire conforme à cette analyse que j'avais faite l'été précédent, à savoir notamment que le cours était entièrement écrit,  que, professeur,  je m'étais donné comme rôle de donner de l'enthousiasme, d'indiquer ce qu'il était bon d'étudier, notamment à l'aide d'une carte de la matière, de faire des points d'étapes réguliers sur le chemin que mes jeune amis devaient emprunter.

2. Tout cela a assez bien fonctionné, mais j'ai observé que le temps réservé au professeur avait rapidement tendance à s'étendre à l'infini, au détriment du temps d'études par les étudiants, en autonomie. Entre le professeur qui cause, voyant l'immensité des notions indispensables à ses jeunes amis, & ces derniers qui aiment l'entendre causer, grappillant sans relâche des notions, méthodes, informations toutes indispensables, il y a tous les ingrédients pour faire déborder le vase.

3. J'ai conclu que le système élaboré nécessitait plus que ce que j'avais imaginé : il faut aussi que le professeur fixe des objectifs raisonnables, précis, notamment à propos de méthodologie ;  il y a lieu de laisser mille pistes ouvertes à côté des chemins que l'on aura effectivement parcouru. Pour le professeur, il y a ce  travail supplémentaire qui est, non pas seulement de baliser le chemin, mais aussi de bien mesurer le temps à accorder aux étapes que les étudiants doivent parcourir.

mardi 18 septembre 2018

Contribuez à la rénovation de l'orgue de Kientzheim !

A l’occasion des Journées du Patrimoine, l’Association Les Amis des Orgues Valentin Rinkenbach de Kientzheim (AAOK) avait organisé plusieurs manifestations. Créée le 13 février 2017, l’association (reconnue d’intérêt général) lançait samedi dernier sa campagne de restauration de l’orgue Valentin Rinkenbach de l’église Notre Dame des Sept Douleurs de Kientzheim.

Dès 10 heures à la salle du conseil de la mairie de Kientzheim, se tenait une conférence de M. Christian LUTZ, technicien – conseil pour les orgues auprès des Monuments Historiques, sur le thème suivant « L’orgue de Kientzheim, chef- d’œuvre de Valentin Rinkenbach ».

En introduction, Marie-Béatrice LAHORGUE, secrétaire de l’association, expose en quelques mots l’objet de l’association : rénover, entretenir et promouvoir les orgues de l’Eglise de Kientzheim. Dès la fin de l’année 2017, la commune déléguée de Kientzheim (propriétaire du bien)  commandait à la demande de l’association, une étude aux Monuments Historiques en vue de dresser un inventaire complet de l’instrument et de proposer éventuellement plusieurs scénarios de restauration de l’orgue. En février 2018, M. Christian Lutz présentait les conclusions de son expertise à l’AG des membres de l’association et aux représentants de la municipalité. A cette occasion, et ainsi qu’il l’a rappelé en introduction de sa conférence, « entrant dans les entrailles de l’instrument à l’occasion de cette expertise, j’ai découvert l’exceptionnelle valeur patrimoniale et musicale de l’orgue de Kientzheim ». Une demande de classement au titre des monuments historiques a été déposée en mai 2018 par la mairie à la demande de l’association.

Mme Lahorgue évoque ensuite très rapidement les projets de l’association avant de passer la parole au conférencier.  (projets à la fois patrimoniaux et culturels mais aussi pédagogiques à destination des écoles et du grand public afin de faire découvrir cet instrument méconnu qu’est l’orgue).
A cet égard, il est rappelé que l’orgue inventé par un grec Ctésibios au IIIème siècle avant Jésus-Christ n’est pas à son origine un instrument de musique religieux mais païen. On en jouait en plein air pendant les combats de gladiateurs ou lors de la mise à mort par les fauves des 1ers martyrs chrétiens.

Puis  Christian Lutz Lutz expose l’histoire de l’orgue de Kienztheim et de la dynastie des Rinkenbach rappelant que si Valentin Rinkenbach (1795-1862) est né à Ammerschwihr, il  épousa à Kientzheim, le 7 janvier 1829, Madeleine Bernhard, native de Kindwiller (Bas-Rhin), sœur et gouvernante du curé de Kientzheim ! En l'espace de 41 ans de métier, il construisit 53 instruments neufs dont 6 dans le Bas-Rhin.

Christian Lutz dresse ensuite un état matériel précis de l’orgue et explique l’intérêt patrimonial de l’instrument unique par son style dit de « transition ».
La plupart des ouvrages de Valentin Rinkenbach ne comportaient qu’un seul clavier. A Kientzheim,  il posa un orgue à trois claviers, ce qu’il ne fit que deux fois dans d’autres églises, dès 1821 à Olten en Suisse et en 1862 à Heimersdorf dans le Haut-Rhin, où l’orgue fut achevé par ses deux fils. Durant la décennie des années 1840, Valentin Rinkenbach était au sommet de son art et cet orgue fut comme une vitrine de son savoir-faire, à 2 kms de son atelier d’Ammerschwihr. Pas moins de 25 jeux de l’orgue comportent encore majoritairement des tuyaux de Valentin Rinkenbach. On compte environ 1238 tuyaux de Valentin Rinkenbach, soit 79 % des 1566 tuyaux que comptait l’orgue en 1847. Certains tuyaux tels que la flûte du clavier de récit portent par ailleurs encore sa griffe.
« De tous les instruments construits par Valentin Rinkenbach, entre son retour définitif à Ammerschwihr vers 1826 et son décès en 1862, celui qu’il posa en 1847 à Kientzheim est assurément son chef-d’œuvre » (Christian Lutz). Techniquement, il est tout à fait possible de restaurer ce magnifique instrument car les techniques de fabrique sont aujourd’hui encore connues


A l’issue de cette conférence le public est invité à assister à une série de « variations autour de l’orgue »  et ce durant tout le week-end.


11 heures : Inauguration de l’exposition permanente qui accompagnera la campagne de restauration de l’orgue. Celle-ci est composée de 10 panneaux. Une jeune kientzheimoise, Sixtine Baillot, étudiante en 1ère année de l’ISEG à Strasbourg en a assuré bénévolement la réalisation graphique.
L’exposition présente l’histoire de Kientzheim, de son église et de l’orgue, la généalogie de Valentin Rinkenbach, le fonctionnement d’un orgue. Cette exposition très belle et pédagogique s’adresse tout à la fois à un public averti, aux enfants des écoles et au grand public.

A l’occasion de cette inauguration, le public présent est invité à monter à la tribune et à entrer dans les entrailles de l’orgue pendant que Charles Blanck et Stéphane Schweitzer (organistes) jouent de l’instrument  pour le plus grand bonheur des personnes présentes.
C’est ensuite vers la chapelle Sts Felix et Régule que le public est sont convié à se rendre pour assister à d’autres variations autour de l’orgue avec le jeu sur clavecin de partitions pour orgue par Stéphane Schweitzer.
L’après-midi, se tenait la toute dernière « Heure musicale » de Stéphane Schweitzer qui aura accueilli tout l’été les kientzheimois mais aussi les touristes et le public de passage pour une découverte d’instruments anciens (clavicorde, viole de gambe, clavecin).


Enfin à 20h30,   ballade aux lanternes (je vous passe le relai……)


L’association AAOK a quant à elle poursuivi son programme culturel le dimanche 16 septembre à 16 heures en proposant pour la toute dernière heure musicale Félix et Régule de l’été une ultime variation autour de l’orgue avec la présentation au public de la cithare par Jeannine et Mirelle de l’association « Les cithares de Colmar »  accompagnées de Gilbert Noack et de sa cithare de concert. Ce dernier a séduit l'auditoire avec des airs de musique qui ont rappelé quelques souvenirs aux plus anciens.

Après un rappel  historique de l’instrument, particulièrement apprécié des Grecs de l'Antiquité, plusieurs types de cithares ont été présentées : monocorde, vietnamienne, de concert, Hackbrett, aurore, et cithare avec archet ou violin-zithers. Un thérémine fut aussi présenté. Il s’agit d’un des plus anciens instruments de musique électronique, inventé en 1919 par le Russe Lev Sergueïevitch Termen (connu sous le nom de Léon Theremin). Les trois musiciens ont ensuite interprété différents morceaux de musique puis invité les personnes présentes à venir jouer de la cithare.

Une  « saison 2 » des heures musicales à Kientzheim est d’ores et déjà prévue !

Pour tout renseignement sur l’orgue et sa restauration,

Association Les Amis des Orgues Valentin Rinkenbach de Kientzheim
48, Grand-Rue
KIENTZHEIM
68240 Kaysersberg Vignoble
Mail : aaok@laposte.net

Twitter : @OrgueKientzheim
LinkedIn : Association AAOK
Facebook : @AssociationAOK



lundi 28 décembre 2015

Ma bonne résolution

 Mes amis se perdent dans mes blogs : il y en a bien trop !
Et, moi, je vois que les billets ne sont pas toujours comme ils devraient être : certains sont insuffisamment positifs, ils manquent d'enthousiasme.

 Un  bilan, pour commencer :
 - d'abord, il y a le blog "Hervé This", à l'adresse http://hervethis.blogspot.fr/. Il s'agit d'un espace où je peux analyser des questions variées, qui ne trouveraient pas leur place sur le site d'AgroParisTech  (que je décris ci-dessous)
 - ensuite, il y a le site "Gastronomie moléculaire", http://gastronomie-moleculaire.blogspot.fr/. Il donnait des tas d'informations relatives à la gastronomie moléculaire... mais celui-là pouvait migrer vers l'AgroParisTech... et les billets correspondants ont effectivement migré
 - puis la revue Pour la Science m'a proposé de faire http://www.scilogs.fr/vivelaconnaissance/. Pendant plusieurs mois, ce blog n'a pas démérité, parce qu'il était conçu pour être positif, et il discutait des questions de science, de technologie, de connaissance...
 - enfin, est arrivée la proposition d'AgroParisTech, de transférer des billets sur le site de l'Ecole, en même temps qu'a été créé le Centre International de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra, http://www.agroparistech.fr/-Le-blog-de-Herve-This-Vive-la-connaissance-.html, ce qui a suscité la création de plusieurs "sous-blogs" :
            - des réflexions sur l'enseignement supérieur http://www.agroparistech.fr/-A-propos-d-enseignement-superieur-mais-pas-seulement-.html
            - des réflexions "épistémologiques" : http://www.agroparistech.fr/-A-propos-de-recherche-scientifique-de-sciences-de-la-nature-de-technologie-.html
            - des questions de communication http://www.agroparistech.fr/-Des-questions-de-communication-scientifique-.html
             - des questions morales : http://www.agroparistech.fr/-Il-s-agit-d-agir-de-facon-responsable-.html
             - des réflexions  sur les bonnes pratiques scientifiques : http://www.agroparistech.fr/-Les-bonnes-pratiques-scientifiques-.html
 -  puis des informations variées sont données sur  http://www.agroparistech.fr/-1-Les-travaux-de-recherche-scientifique-ou-technologique-.html ;
              - des informations de gastronomie moléculaire sur http://www.agroparistech.fr/-Quelques-exemples-d-applications-de-la-gastronomie-moleculaire-.html
              - des informations sur la toxicologie sur  http://www.agroparistech.fr/1-Comment-ce-site-est-organise.html
 - il y a aussi des blogs moins fournis, tel le blog sur la cuisine note à note, qui a migré vers AgroParisTech, ou encore le blog Molecular gastronomy, qui a également migré... Et je n'évoque pas des pages de site telles celles qui sont consacrées à la toxicité des produits naturels, sur le site d'AgroParisTech, et qui ne s'apparentent pas à du blog.

Nous sommes bien d'accord : cela est trop ! Mais c'est secondaire, et la remise en ordre se fait progressivement. D'autant  que chaque blog est fait pour intéresser (j'espère) des amis particuliers : les questions de bonnes pratiques en science ne sont pas pour les mêmes amis que les questions de communication scientifique, par exemple.

Ce qui est plus grave, c'est que je m'aperçois aujourd'hui que certains billets sont bien trop négatifs ! Par exemple, les billets consacrés aux bonnes pratiques en science sont excessivement moralisateurs. Pour un tel sujet, où je sais que des amis craignent que  les réflexions ne se transforment en lois assorties de sanction, il importe de bien présenter les propositions comme des possibilités de tendre vers la perfection sans y prétendre, et dans la joie !
Pour les billets de blog "politiques", je vois  que j'exprime parfois un mécontentement. Ce n'est pas utile, cherchons plutôt à améliorer, par des propositions. Que faire des pisse vinaigre qui nous empêtrent un peu ? Rabelais avait résolu d'en rire. La carricature est une solution... mais faut-il prendre du temps à réagir  ? C'est bien trop d'honneur, et je viens de comprendre que la meilleure lutte contre la bêtise, c'est la promotion de la beauté, de l'intelligence, de l'enthousiasme !
L'idée du blog de Pour la Science, elle, était d'emblée positive, puisque le blog était fondé sur des "catégories prédéfinies d'enthousiasmes". Ca, c'est bon !

Ma bonne résolution, c'est donc de me cantonner à des catégories positives. Lesquelles ?
Les bonnes pratiques en science : bien fait, ce blog est sans doute utile.
Vive les  sciences de la nature : j'ai renommé cela "épistémologie", mais l'idée demeure, très positive.
Les merveilleuses applications des  sciences ? Jamais on ne dira assez à nos jeunes amis que le métier d'ingénieur, fait avec intelligence, activité et éthique, est extraordinaire !
La connaissance par la lorgnette de la gourmandise : oui, une belle façon d'aller de l'avant.
Les questions sont des promesses de réponses : c'est bien ce que l'on demande à un intellectuel, non ?
La beauté est dans l'oeil de celui qui regarde : là, on est immédiatement positif !
J'ai lu pour vous un livre merveilleux : ah, le partage des émotions, cela nous fait bien humain.
Apprendre ! : quelle question ! Elle mérite certainement que l'on s'y arrête un peu, que l'on analyse.

Et, pour conclure, je crois que j'ai compris quelque chose d'important, qui a de nouveau un rapport au Ragnarok, cette fin du monde des dieux, contre laquelle Wotan et ses guerriers combattent les géants, à partir du Valhalla : la meilleure  façon de combattre, c'est de construire.

samedi 27 mars 2010

La maison du grand père

Je m'aperçois que des textes pourtant utiles n'ont pas été suffisamment lus. En voici un exemple, que j'avais produit il y a quelque temps, et auquel je continue d'adhérer parfaitement.



Soyons clairs : mes divers textes sont une émanation de mon travail de « gastronomie moléculaire », laquelle est une étude scientifique de la cuisine. Discipline iconoclaste ? Certes, elle montre parfois que la cuisine est un mélange d’observations remarquables, d’interprétations souvent fautives et des gestes pas toujours utiles, mais elle cherche surtout la vérité. Si de grands cuisiniers du passé ont fait des erreurs, il peut sembler iconoclaste de le souligner, mais doit-on transmettre des erreurs ou la vérité ? Doit-on cacher les drames familiaux ou, au contraire, les reconnaître avec sincérité ?


Cette question s’accompagne d’autres interrogations que je vous propose d’examiner ici : avons-nous le droit de mettre en cause la tradition culinaire ? devons-nous respecter la tradition culinaire française ? pouvons-nous endosser la responsabilité de conduire la cuisine à évoluer ?

Des faits, tout d’abord : la gastronomie moléculaire est une discipline scientifique, c’est-à-dire une recherche ; ce n’est ni une méthode d’enseignement, ni une technique. La différence ? La technique, premièrement, c’est l’exécution de gestes ; l’enseignement, deuxièmement, est une transmission des connaissances ; la science, enfin, est une exploration du monde.
C’est ainsi que la cosmologie explore l’Univers (comment s’est-il formé ? comment évolue-t-il ?), que la géologie veut comprendre le Globe terrestre (a-t-il un noyau solide au coeur du plasma liquide qu’il a en son centre ?), que la botanique veut comprendre les plantes, la zoologie les animaux, la chimie les réactions chimiques, la physique les phénomènes physiques… A chaque science son objet d’étude, lequel est une partie du monde où nous vivons. Pour la gastronomie moléculaire, cette partie du monde est la cuisine (et, un peu, la dégustation). Partie importante, si l’on songe que chaque foyer, si petit qu’il soit, a toujours une cuisine ! Il fallait bien une science pour en explorer les mystères.

Science, ai-je dit : qu’est-ce que la science ? 

La science est cette activité qui observe les phénomènes et qui cherche à les comprendre. Pour la gastronomie moléculaire, il s’agit de chercher les mécanismes des transformations culinaires, lesquelles sont essentiellement de nature chimique, physique ou biologique.
La méthode d’étude que pratiquent les chercheurs est ce que l’on nomme la méthode expérimentale, qui procède de la façon suivante : partant d’un phénomène (les soufflés gonflent), on effectue des mesures pour caractériser le phénomène ; puis, sur la base de ces mesures, on cherche une théorie (on se demande si les soufflés gonflent parce que les bulles d’air des blancs en neige se dilatent) ; puis on cherche à réfuter la théorie, soit par le calcul, soit par des expériences (on calcule très facilement que, si les soufflés gonflaient en raison de la dilatation des bulles, le gonflement ne serait au maximum que de 20 pour cent) ; sur la base des réfutations effectuées, on change la théorie ou on l’affine (les soufflés gonflent surtout en raison de l’évaporation de l’eau), et on continue à chercher des réfutations.
On le voit, la science n’est jamais satisfaite d’elle-même, parce qu’elle sait que toute théorie est fausse, ou, du moins, que toute théorie ne décrit qu’imparfaitement les phénomènes. Et c’est parce qu’elle « tient le probable pour faux jusqu’à preuve du contraire » que la science évite le dogmatisme, le contentement de soi, l’aplomb de la certitude.

A bas les idoles


La cuisine, au moins pour sa composante technique (j’ai suffisamment crié que la cuisine, c’est de l’amour, de l’art et de la technique), est étudiée par la gastronomie moléculaire de deux façons, parce que les recettes, transmises par écrit ou oralement, ont deux aspects : la recette donne une définition (un pot-au-feu, dans le principe, s’obtient par chauffage de viande dans l’eau), d’une part, et des « précisions », d’autre part (ce que je nommais naguère des dictons, tours de main, pratiques, on dit…). Du coup, la gastronomie moléculaire doit comprendre les définitions, et tester les précisions.
Ces études conduisent évidemment à réfuter les grands auteurs du passé : Marin, Carême, Escoffier, Nignon, Gouffé… La science serait-elle alors iconoclaste ? Oui, d’une certaines façon : les faits sont les faits, et les erreurs, même proférées par les plus grands des cuisiniers du passé, sont des erreurs. Est-ce pour autant que nous cesserons d’admirer les grands du passé ? Certainement pas ! L’illustre chimiste Antoine-Laurent de Lavoisier, le père de la chimie moderne, a cru que tous les acides contenaient de l’oxygène, et l’on sait aujourd’hui que ce n’est pas vrai (l’acide chlorhydrique, par exemple, ne contient que de l’hydrogène et du chlore) ; pour autant, les chimistes ne cesseront pas d’admirer Lavoisier, individu à la pensée remarquablement lucide, claire, intelligente, qui ne s’est trompé (dans quelques cas), que parce qu’il défrichait un pays broussailleux. N’importe qui, sans la carte du pays chimique que nous a légué Lavoisier, se serait sans doute trompé bien plus que lui, et bien d’autres, à son époque, n’ont pas obtenu les résultats qui lui sont dus.
J’en reviens à la gastronomie moléculaire : ce n’est pas parce qu’elle remet en question des idées du passé, qu’elle montre des erreurs, qu’elle est une entreprise de « déconstruction ». Au contraire : c’est une entreprise de rénovation, telle qu’il y aurait dû en avoir depuis longtemps !

Rénovation d’un héritage


Du coup, la question est posée : si nous apprenons à faire des soufflés plus gonflés que par le passé, des mayonnaises avec des goûts différents, des mousses plus légères, des gnocchis mieux cuits, des mousses au chocolat sans œuf, et ainsi de suite, nous risquons de modifier la cuisine française. Est-ce bien raisonnable ?

Je vous propose de considérer que la cuisine française, la grande cuisine française que nous envient tant d’autres états, est comme la maison de nos aïeux. C’est une superbe bâtisse… dépourvue du confort moderne. Pas de salle de bain, des toilettes au fond du jardin, un antique poêle à bois... Devons-nous conserver la maison en l’état, même si les autres nous l’envient ?
Il serait irresponsable de vendre la maison : nous la regretterions tout le reste de notre vie. La démolir, aussi, serait une façon de perdre toute l’intelligence qui s’y trouve : par exemple, ces murs épais, en pierre, nous protègent mieux du froid en hiver et de la chaleur en été que des parpaings doublés d’amiante. Nous devons conserver la maison, mais nous devons l’aménager, pour y vivre mieux que n’y vivaient nos aïeux (en raison du manque d’hygiène et de mille autres raisons, leur espérance de vie était bien inférieure à la nôtre, leur vin plus souvent piqué, leurs fruits fréquemment tavelés, leurs œufs moins frais…).
J’arrive donc à la grande question : que pouvons-nous transformer sans le regretter plus tard ? La question s’impose avec urgence, car, si nous ne la considérons pas, nous risquons de faire des modifications regrettables. En revanche, nous ne devons pas remettre à un futur trop éloigné les travaux, sans quoi elle s’effondrera.

Retour en cuisine


Chacun a compris où je voulais en venir. Les cuisiniers créateurs (les « cuisiniers artistes ») ne m’ont pas attendu pour changer la cuisine française, et même les « cuisiniers artisans » y sont allés de leurs changements : personne ne pratique plus les crèmes anglaises comme Auguste Escoffier, parce que le nombre de jaunes d’œufs au litre leur semble excessif. Bref, nous avons tous «bidouillé » la maison des aïeux sans cherché à en avoir une idée d’ensemble.

N’est-il pas temps de poser la question : que pouvons-nous transformer ? que devons-nous conserver ?
Poser ces questions systématiquement, institutionnellement, c’est la seule façon de transformer en connaissance de cause. Connaissance de cause : c’est ainsi que la cuisine est belle !

La maison du grand père

Je m'aperçois que des textes pourtant utiles n'ont pas été suffisamment lus. En voici un exemple, que j'avais produit il y a quelque temps, et auquel je continue d'adhérer parfaitement.

Soyons clairs : mes divers textes sont une émanation de mon travail de « gastronomie moléculaire », laquelle est une étude scientifique de la cuisine. Discipline iconoclaste ? Certes, elle montre parfois que la cuisine est un mélange d’observations remarquables, d’interprétations souvent fautives et des gestes pas toujours utiles, mais elle cherche surtout la vérité. Si de grands cuisiniers du passé ont fait des erreurs, il peut sembler iconoclaste de le souligner, mais doit-on transmettre des erreurs ou la vérité ? Doit-on cacher les drames familiaux ou, au contraire, les reconnaître avec sincérité ?
Cette question s’accompagne d’autres interrogations que je vous propose d’examiner ici : avons-nous le droit de mettre en cause la tradition culinaire ? devons-nous respecter la tradition culinaire française ? pouvons-nous endosser la responsabilité de conduire la cuisine à évoluer ?

Des faits, tout d’abord : la gastronomie moléculaire est une discipline scientifique, c’est-à-dire une recherche ; ce n’est ni une méthode d’enseignement, ni une technique. La différence ? La technique, premièrement, c’ est l’exécution de gestes ; l’enseignement, deuxièmement, est une transmission des connaissances ; la science, enfin, est une exploration du monde.
C’est ainsi que la cosmologie explore l’Univers (comment s’est-il formé ? comment évolue-t-il ?), que la géologie veut comprendre le Globe terrestre (a-t-il un noyau solide au coeur du plasma liquide qu’il a en son centre ?) , que la botanique veut comprendre les plantes, la zoologie les animaux, la chimie les réactions chimiques, la physique les phénomènes physiques… A chaque science son objet d’étude, lequel est une partie du monde où nous vivons. Pour la gastronomie moléculaire, cette partie du monde est la cuisine (et, un peu, la dégustation). Partie importante, si l’on songe que chaque foyer, si petit qu’il soit, a toujours une cuisine ! Il fallait bien une science pour en explorer les mystères.

Science, ai-je dit : qu’est-ce que la science ? La science est cette activité qui observe les phénomènes et qui cherche à les comprendre. Pour la gastronomie moléculaire, il s’agit de chercher les mécanismes des transformations culinaires, lesquelles sont essentiellement de nature chimique, physique ou biologique. La méthode d’étude que pratiquent les chercheurs est ce que l’on nomme la méthode expérimentale, qui procède de la façon suivante : partant d’un phénomène (les soufflés gonflent), on effectue des mesures pour caractériser le phénomène ; puis, sur la base de ces mesures, on cherche une théorie (on se demande si les soufflés gonflent parce que les bulles d’air des blancs en neige se dilatent) ; puis on cherche à réfuter la théorie, soit par le calcul, soit par des expériences (on calcule très facilement que, si les soufflés gonflaient en raison de la dilatation des bulles, le gonflement ne serait au maximum que de 20 pour cent) ; sur la base des réfutations effectuées, on change la théorie ou on l’affine (les soufflés gonflent surtout en raison de l’évaporation de l’eau), et on continue à chercher des réfutations.
On le voit, la science n’est jamais satisfaite d’elle-même, parce qu’elle sait que toute théorie est fausse, ou, du moins, que toute théorie ne décrit qu’imparfaitement les phénomènes. Et c’est parce qu’elle « tient le probable pour faux jusqu’à preuve du contraire » que la science évite le dogmatisme, le contentement de soi, l’aplomb de la certitude.

A bas les idoles


La cuisine, au moins pour sa composante technique (j’ai suffisamment crié que la cuisine, c’est de l’amour, de l’art et de la technique), est étudiée par la gastronomie moléculaire de deux façons, parce que les recettes, transmises par écrit ou oralement, ont deux aspects : la recette donne une définition (un pot-au-feu, dans le principe, s’obtient par chauffage de viande dans l’eau), d’une part, et des « précisions », d’autre part (ce que je nommais naguère des dictons, tours de main, pratiques, on dit…). Du coup, la gastronomie moléculaire doit comprendre les définitions, et tester les précisions.
Ces études conduisent évidemment à réfuter les grands auteurs du passé : Marin, Carême, Escoffier, Nignon, Gouffé… La science serait-elle alors iconoclaste ? Oui, d’une certaines façon : les faits sont les faits, et les erreurs, même proférées par les plus grands des cuisiniers du passé, sont des erreurs. Est-ce pour autant que nous cesserons d’admirer les grands du passé ? Certainement pas ! L’illustre chimiste Antoine-Laurent de Lavoisier, le père de la chimie moderne, a cru que tous les acides contenaient de l’oxygène, et l’on sait aujourd’hui que ce n’est pas vrai (l’acide chlorhydrique, par exemple, ne contient que de l’hydrogène et du chlore) ; pour autant, les chimistes ne cesseront pas d’admirer Lavoisier, individu à la pensée remarquablement lucide, claire, intelligente, qui ne s’est trompé (dans quelques cas), que parce qu’il défrichait un pays broussailleux. N’importe qui, sans la carte du pays chimique que nous a légué Lavoisier, se serait sans doute trompé bien plus que lui, et bien d’autres, à son époque, n’ont pas obtenu les résultats qui lui sont dus.
J’en reviens à la gastronomie moléculaire : ce n’est pas parce qu’elle remet en question des idées du passé, qu’elle montre des erreurs, qu’elle est une entreprise de « déconstruction ». Au contraire : c’est une entreprise de rénovation, telle qu’il y aurait dû en avoir depuis longtemps !

Rénovation d’un héritage


Du coup, la question est posée : si nous apprenons à faire des soufflés plus gonflés que par le passé, des mayonnaises avec des goûts différents, des mousses plus légères, des gnocchis mieux cuits, des mousses au chocolat sans œuf, et ainsi de suite, nous risquons de modifier la cuisine française. Est-ce bien raisonnable ?
Je vous propose de considérer que la cuisine française, la grande cuisine française que nous envient tant d’autres états, est comme la maison de nos aïeux. C’est une superbe bâtisse… dépourvue du confort moderne. Pas de salle de bain, des toilettes au fond du jardin, un antique poêle à bois... Devons-nous conserver la maison en l’état, même si les autres nous l’envient ?
Il serait irresponsable de vendre la maison : nous la regretterions tout le reste de notre vie. La démolir, aussi, serait une façon de perdre toute l’intelligence qui s’y trouve : par exemple, ces murs épais, en pierre, nous protègent mieux du froid en hiver et de la chaleur en été que des parpaings doublés d’amiante. Nous devons conserver la maison, mais nous devons l’aménager, pour y vivre mieux que n’y vivaient nos aïeux (en raison du manque d’hygiène et de mille autres raisons, leur espérance de vie était bien inférieure à la nôtre, leur vin plus souvent piqué, leurs fruits fréquemment tavelés, leurs œufs moins frais…).
J’arrive donc à la grande question : que pouvons-nous transformer sans le regretter plus tard ? La question s’impose avec urgence, car, si nous ne la considérons pas, nous risquons de faire des modifications regrettables. En revanche, nous ne devons pas remettre à un futur trop éloigné les travaux, sans quoi elle s’effondrera.

Retour en cuisine


Chacun a compris où je voulais en venir. Les cuisiniers créateurs (les « cuisiniers artistes ») ne m’ont pas attendu pour changer la cuisine française, et même les « cuisiniers artisans » y sont allés de leurs changements : personne ne pratique plus les crèmes anglaises comme Auguste Escoffier, parce que le nombre de jaunes d’œufs au litre leur semble excessif. Bref, nous avons tous «bidouillé » la maison des aïeux sans cherché à en avoir une idée d’ensemble.
N’est-il pas temps de poser la question : que pouvons-nous transformer ? que devons-nous conserver ?
Poser ces questions systématiquement, institutionnellement, c’est la seule façon de transformer en connaissance de cause. Connaissance de cause : c’est ainsi que la cuisine est belle !