jeudi 14 novembre 2013

Faut-il numéroter les diapositives, dans une présentation orale ?

La question se pose largement (à ceux qui se posent des questions), et la réponse n'est pas simple (mais pas "complexe" non plus).
Ne pourrions nous pas penser que tout dépend de l'intention, du contexte, etc.

Commençons par analyser qu'un powerpoint, par exemple, peut-être un support de présentation orale. Dans ce cas là, c'est l'oral qui compte.
Un récit ? Pensons à un conte qu'on nous dirait ? Le plus souvent, le récit sera structuré, et l'on aura en tête des épisodes. Pas besoin de "numéroter les pages". Et puis, de même que le mangeur veut du rêve, et se moque de la liste des ingrédients du mets (sauf  quand ils font rêver), on veut l'histoire, pas la transpiration.
D'ailleurs, si le récit est bon, quel dommage de savoir qu'on arrive à la fin ! Et si le récit est mauvais, quel désastre de voir qu'on n'en est qu'aux deux tiers !

Pour un document, ou un exposé didactique, c'est bien différent : les numéros de page permettent de se repérer, pour retrouver ensuite un passage. Cela dit, un numéro n'est pas un "signet", qui, lui, est "signifiant". Donc il vaut mieux des onglets plus intelligents que des numéros de page.

Pour des documents destinés à être examinés plus calmement, étudiés, les choses sont différentes, parce que des documents powerpoint sont alors comme des pages d'un textes. Et les numéros de pages peuvent être utiles... mais c'est alors de la communication écrite, et non de la communication orale.

Bref, tout est question d'intention, de contexte !



L'obscurité des textes

On me donne le lien http://www.fabula.org/atelier.php?COMMENT_RENDRE_UN_TEXTE_INCOMPREHENSIBLE, où l'auteur explique que Lacan et d'autres sont obscurs. C'est une belle question, mais j'ai deux arguments :
1. je me souviens de Jean Largeault, qui était une « belle personne », droite, honnête intellectuellement, cultivée (ô combien!). Un jour, Jean m'avait offert un de ses livres érudits parus chez Vrin (je crois que c'était celui où il discutait les philosophies de la nature), et, évidemment, je me devais
  • de le lire
  • de lui en faire commentaire
Je commençai donc la lecture, lentement, attentivement, comme l'auteur du texte qui figure dans le lien plus haut... et je bloquais à la page 17. Je reprenais à zéro, et, à nouveau, je bloquais, toujours au même endroit.
Pendant quelques semaines, j'évitais Jean, jusqu'à ce que je ne puisse plus, et qu'il me demande ce que je pensais de son livre. Je lui avouais mon incompréhension de la page 17, et nous en parlâmes ouvertement : « Ah, mais c'est parce que vous ne savez pas que Saint Anselme a écrit, dans l'oeuvre xxx, que yyy ! »
Oui, j'ignorais ce texte de Saint Anselme, et, muni de ce texte, je pus poursuivre. Moralité : attention à ne pas projeter nos insuffisances dans les textes des penseurs.
2. Imaginons, maintenant (cela m'est arrivé) que je fasse un texte où j'utilise des notions neuves (supramolécularité, donneur, accepteur, dynamères, statgels...) : comment penser que mes lecteurs pourrront me suivre s'ils n'ont pas étudié ces notions ? Il ne s'agirait pas pour moi d'être incompréhensible ou obscur volontairement, mais de discuter les questions, avec les mots appropriés aux concepts nouveaux. Bref, il y a une différence entre la vulgarisation qui explique, et la science qui avance.
Le malheur, c'est que nous voudrions avoir tout de suite la notion, sans faire le chemin qui y mène. Désolé, il y a du travail à faire, et cette idée égalitaire d'un langage de la rue pour des idées techniques est très fausse !
Pis, je crois que je n'ai quasiment jamais réussi à parler un vrai langage à des collègues, et je me résous, la mort dans l'âme, à ne faire que des conférences de vulgarisation, parce que je sais que mon savoir (petit) est très idiosyncratique, et que je ne peux faire l'hypothèse que mes auditeurs me comprendront. Quel dommage ! (et, inversement, quel bonheur quand je rencontre quelqu'un à qui je n'ai pas à expliquer les choses).

mardi 12 novembre 2013

Prochain séminaire

Chers Amis

Je suis heureux de vous rappeler que notre prochain séminaire de gastronomie moléculaire se tiendra le lundi 16 novembre (lundi prochain, donc), au 28 bis rue de l'Abbé Grégoire, 75006 Paris, dans l'amphithéâtre de l'Ecole supérieure de cuisine française, de 16 à 18 heures.
Le thème sélectionné par les participants du dernier séminaire sera :

Pour un sauté de volaille ou de porc, le matériau du sautoir est-il important ?
(pour nos expériences, nous ferons sauter du bœuf et procéderons au glaçage de petits oignons).

Au plaisir de retrouver ceux qui veulent+peuvent.
Vive la physico-chimie !  (voir http://hervethis.blogspot.fr/2013/02/quest-ce-que-la-chimie-suite.html)

vendredi 8 novembre 2013

Et aujourd'hui, la boule de neige roule !

C'est en anglais, toutefois : http://www.huffingtonpost.com/2013/11/07/herve-this-molecular-gastronomy_n_4234423.html

Apprendre la science ?

Vendredi 8 novembre 2013 :  Comment apprendre la science ?
Apprendre la science ? La question est légitime, et on se propose de décortiquer un peu la chose.

1. La science, mais c'est quoi ?
La question est complexe, et il faudrait connaître bien la science pour répondre à la question (pardon, je fais ici état de mes insuffisances, mais ce n'est pas de la fausse modestie).
Commençons par reconnaître que ici, par "science", on entend "science quantitative" (physique, physico-chimie, biologie....). C'est évidemment un abus, car on parle de science pour désigner les savoir : au siècle passé, il y avait des livres intitulés « La science du maître d'hôtel ».  Le plus possible, dans ce qui suit, je fais donc attention à la confusion possible, et je propose de considérer la question de l'apprentissage des sciences quantitatives seulement.
Apprendre la science quantitative signifie donc apprendre à effectuer une recherche scientifique (quantitative), c'est-à-dire soit  (1) se poser des questions de stratégie scientifique (qu'explorer si l'on a l'objectif de faire des découvertes ?) ; soit(2) apprendre à mettre en oeuvre la méthode scientifique, décrite ailleurs [].
En réalité, l'étudiant qui m'a interrogé pensait moins à "apprendre la science" qu'à apprendre des résultats des sciences, et, plus particulièrement, à appendre des résultats de physico-chimie.
Comment savoir que la tension superficielle est la dérivée de l'enthalpie libre par rapport à l'aire ? Ou comment "apprendre" ce qu'est l'effet Marangoni ?

2. Apprendre, savoir...
Commençons par observer que, dans ces deux questions, il y a une fois le mot "savoir", et une fois le mot "apprendre". Apprendre conduit-il à savoir ? Qu'est-ce qu'apprendre ? Qu'est-ce que savoir ?
Au premier abord, il y a la notion, le phénomène, décrit par des mots : par exemple, les spins des noyaux de protons, dans un champ magnétique externe, sont soit dans l'état "haut", soit dans l'état "bas". C'est un savoir supplémentaire que de connaître la proportion de spins dans chacun des deux états. Notons d'ailleurs que ce savoir là est plus "scientifique", puisque la science quantitative va de pair avec le nombre, le calcul, lequel fait du "récit scientifique" un discours
tout à fait à part, tout à fait différent des explications du monde données par
d'autres disciplines (histoire, géographie, poésie...).
Cela étant, dire que l'on sait quelque chose est fait une déclaration très osée, car on peut savoir plus ou moins profondément, plus ou moins en détail. Par exemple, les étudiants qui viennent en stage dans notre groupe de recherche me disent "savoir peser", mais ils ne savent souvent que tarer la balance avant de poser sur celle-ci l'objet dont ils veulent déterminer la masse ; ils ignorent qu'ils doivent préalablement vérifier que la balance a été vérifiée, vérifier le centrage de la bulle dans le niveau, vérifier la balance à l'aide d'un étalon tertiaire, peser trois fois et savoir pourquoi il faut peser trois fois  au minimum... Bref, qui d'entre nous peut "savoir" ? Cet exemple conduit à penser qu'il vaudrait  mieux, humblement, poser la question d'apprendre plutôt que la question de  savoir.

3. Connaissances et compétences
Avançons dans notre analyse en observant que la question initiale rejoint celle  qu'avait posée un autre étudiant, qui réclamait des "exercices", à l'appui des  cours -pourtant détaillés et, j'espère, bien faits- que je lui avais donnés.
Certes, les exercices sont "classiques", dans les cours, et l'on ménage d'ailleurs des séances de "travaux dirigés" afin d'explorer les cours à l'aide d'exercices et de problèmes. Mais sont-ils nécessaires ? Sont-ils utiles ? Ne peut-on travailler seul ? Apprendre seul ? Et comment ?
Nous voilà donc revenus à la question initiale, après avoir frôlé la discussion  de la différence entre connaissance et compétence, et qui doit être clairement discutéee. Imaginons que, suivant un texte que je cherche à comprendre pas à pas, j'en viens à lire la loi d'Einstein à propos de la viscosité d'une dispersion diluée de particules solides (ce serait l'occasion de me demander pourquoi j'ai retenu que η = η0 (1 + 2.5 φ). C'est une connaissance. Puis, le livre fermé, je redémontre cette loi : c'est une compétence. Comment passer de la connaissance à la compétence ? Dans cette affaire, il y a une question de mémorisation, et une question de compréhension... et de savoir.
Mémoriser : on aurait intérêt à s'intéresser aux méthodes des universitaires, de l'Antiquité au Moyen Âge, quand, sans papier, on devait mémoriser beaucoup. Nos prédécesseurs ont mis au point des méthodes, à
commencer par celle qui consistait à se construire une "maison intérieure", que l'on parcourait par la pensée en déposant des idées dans les pièces, afin de les retirer ensuite. On doit observer que cette mémorisation ne conduit pas à la compréhension, et, donc, à la compétence. Par exemple, si je connais la loi
d'Einstein mais que j'ignore si la définition de la fraction volumique de la phase dispersée, la connaissance de la loi est inutile. Certainement un exercice me fera passer du temps sur la question, et me montrera ce que j'ai besoin de savoir pour mettre en oeuvre la connaissance : cela semble montrer que les exercices sont utiles pour transformer les connaissances en compétences.
Cela étant, suis-je un utilisateur de voiture ou un garagiste ? Dans les deux cas, ma connaissance est différente, et ma compétence doit l'être aussi. Le fait est que nombre d'amis scientifiques de ma connaissance sont des garagistes, et qu'ils ne supporteront pas de connaître la loi d'Einstein, qu'ils voudront être
capables de la retrouver par eux-mêmes, afin d'être certain d'en avoir la connaissance intime qui leur permettra d'en explorer les limites.
Certains réécrivent les cours, ou les publications, prennent des notes. D'autres se contentent de lire lentement. D'autres encore font des exercices. D'autres encore... Là, je n'ai pas vu de méthode unique... de sorte que je suis bien désemparé, pour répondre à l'étudiant qui m'interrogeait.

4. Une proposition
Et si l'on créait une "banque de méthodes", afin de les analyser, et de retenir la ou les plus efficaces ? N'hésitez pas à laisser des commentaires, et à décrire votre propre façon d' « apprendre la science ». Si, en plus, vous pouvez justifier sans mauvaise foi pourquoi cette méthode est bonne, c'est encore mieux !

dimanche 3 novembre 2013

La notion d'innovation


Dans un cours de master que j'ai donné à l'Ecole des Mines, la question de l'innovation m'a été posée, et  comme omnia definitio pericoloso est (toute définition est dangereuse), j'ai répondu en questionnant le mot, en disant que je n'étais pas bien certain de l'acception qu'il fallait lui donner, partagé entre la tentation de désigner ainsi la nouveauté technique et la proposition faite par d'autres de nommer ainsi l'objet qui « réussit ».
Oui, j'ai bien lu quelque part cette définition : une innovation serait une nouveauté qui réussit. Elle ne me va guère, car qu'est ce que « « réussir » ? S'imposer comme un produit marchand ? A ce compte, on reconnaîtrait au football à la télévision des vertus que je ne vois guère ! La notion de réussite me gênee considérablement, car je ne suis pas sûr de partager les critères qui sont proposés.
Oublions donc ce mercantilisme un peu bête, et cherchons mieux. Un collègue intéressant m'a dit un jour : l'innovation, c'est faire bien, faire mieux, faire autrement, faire autre chose. Pourquoi pas... mais pourquoi ?
Comme souvent, je propose de revenir au mot, à son étymologie, son histoire. Que signifie « innovation » ?
S'agirait-il de produire du nouveau ? L''utilisation du formalisme des systèmes dispersés (DSF, voir Hervé This, Formulation and new dishes, Cahiers de Formulation, vol. 16, EDP Science/Société des chimistes français, pp. 5-21. ), comme toute algèbre, conduit à l'introduction d'un nombre infini d'objets nouveaux, de sorte que, manifestement, la production de nouveauté n'a guère d'intérêt non plus. Insistons un peu, en fixant les idées par une image. Si nous produisons mécaniquement un nombre infini d'objets nouveaux, si nous les posons devant nous sur la table, la question n'est plus de produire un objet en plus ou en moins, mais plutôt de sélectionner des objets ainsi produits. Lesquels ? Cette fois, des critères (de choix) s'imposent.
En cuisine, un critère (technique) est le soin, lequel n'a rien à voir avec la nouveauté. Un autre critère est le bon, soit le beau à manger, et là encore, mille artistes différents produiront mille représentations personnelles de la Vierge à l'Enfant. Un troisième critère est le « je t'aime », et là encore, d'autres choix seront sélectionnés (bien que des recouvrements soient possibles).
Bref, la question se retourne donc vers ceux qui me la posent : quels sont vos critères ?
Mes collègues de l'Ecole des Mines, comme moi, hésitent à employer le mot d'innovation, le sachant... miné. Ils parlent de conception. Pourquoi pas, mais où s'arrête la conception ? Les parents qui conçoivent l'enfant : que font-ils ? La conception est étymologiquement la représentation par la pensée. Les parents conçoivent l'enfant en le pensant, et ce n'est qu'une conséquence que la réunion de deux semences dont l'union est fructueuse. Dans cette acception, la conception est  un acte formel, qui doit faire l'objet de nos soins, et non une matérialisation qui s'apparenterait à toute la période de la grossesse, à la transformation  de l'ovule fécondée en enfant. Dans cette acception là, il faudrait se préoccuper des règles formelles qui permettent au programme de s'exécuter, en supposant que l'épigénétique, c'est-à-dire l'influence de l'environnement sur le déroulement particulier du programme, n'a pas d'effet. Ce serait dommage de se priver de cette source de variabilité et... d'innovation !